L'ÉTOILE
Interprétation
1. Dans l’arcane XVII, la Nature est tout entière représentée à travers ses quatre éléments fondateurs : la Terre (le sol jaune), l’Eau (la rivière bleue), l’Air (l’espace et l’oiseau) et le Feu (les étoiles, astres lumineux). La lame se présente comme un hymne à la Terre. Elle incarne la création du monde, comme un retour aux origines succédant au bouleversement provoqué par la Maison - Diev. Elle exprime la Nature à l’état brut, dans toute sa pureté. Aucune création humaine n’apparaît à la différence de l’arcane XVI. Elle prend sens comme un retour à l’état primordial.
2. La femme est souvent assimilée à Ève, c’est-à-dire à la première femme. Cette analogie prend sa source dans sa nudité et dans le cadre, évoquant l’Éden. Aucun vêtement ne la recouvre; elle est tout entière dévoilée. Cependant, son dénuement ne procède pas, comme celui du Diable, d’une volonté d’affirmation du corps sensuel. Elle représente plutôt le dépouillement extrême et l’absence de masque. Elle situe l’individu dans l’Être et non dans le Paraître. La nudité est ici symbole d’humilité et d’abnégation. Elle bannit, en outre, les différences sociales manifestées par la simplicité ou la richesse des tenues vestimentaires. De plus, elle accentue la présence de la couleur chair. En regard à la Maison - Diev, où l’homme se présentait dans sa rigidité, dans son désir d’éternité, dans son attachement à la matière (tour couleur chair), la femme de l’Étoile incarne l’homme vivant, fort dans sa fragilité, communiant avec la Terre Mère et ne s’opposant plus dans un combat vain et épuisant à la Nature souveraine.
3. Elle présente la même attitude physique que la femme ailée de Tempérance, la tête légèrement inclinée sur l’épaule en signe de confiance et d’abandon. Elle en possède aussi les longs cheveux bleus. La différence essentielle réside certainement dans l’absence de rouge. Si l’ange de Tempérance équilibrait les énergies masculine et féminine dans une juste répartition des couleurs bleu et rouge, la femme de l’Étoile, en dehors de sa dimension profondément humaine, exprimée par la couleur chair, n’est que réceptivité et passivité (cheveux bleus). Elle n’est qu’un instrument.
4. L’action qu’elle accomplit rappelle également l’arcane XIV. La femme ailée de Tempérance transvase le contenu d’un vase bleu dans un vase rouge; la femme de l’Étoile déverse le contenu de deux vases rouges dans une rivière bleue. Si l’attitude comporte des ressemblances, la signification symbolique de l’action est néanmoins différente chez l’une et chez l’autre. L’ange de Tempérance évoque la communication des énergies, le principe de l’échange parfait. La femme de l’Étoile, elle ne met pas véritablement des éléments en relation et ne s’articule donc pas sur un principe interactif; elle verse, c’est-à-dire qu’elle vide et désemplit les vases pour alimenter une étendue d’eau. En un mot, elle donne. Si Tempérance conserve, l'Étoile perd ou dispense.
D’autre part, la nature même de l’action est révélatrice de la valeur du don. Elle n’arrose pas le sol ou une terre aride, mais elle verse un liquide bleu (eau) dans une rivière bleue. Elle accomplit une action totalement gratuite, sans recherche de résultat et, a priori, sans fondement, ni raison. Et c’est surtout cet acte particulier, et apparemment absurde, qui permet de s’approcher de la signification de la carte.
Si elle avait versé de l’eau sur la terre, l’interprétation aurait été liée à des notions de travail, d’action en vue d’un résultat, de développement. Tandis qu’en « arrosant de l’eau », elle enlève toute utilité, tout aspect pratique, toute recherche de rentabilité de son action. Elle donne uniquement et elle donne sans rien attendre en retour, sans intention de profit. En cela, elle décrit la véritable valeur du don. Il s’agit du don fait avec la seule pensée qu’il faut donner.
Les deux vases qui contiennent l’eau sont tous les deux rouges, ce qui constitue encore une différence avec Tempérance. Ils sont donc profondément actifs et emplis d’une énergie et d’une vitalité réelles.
5. Le sol occupe une large place. Sa couleur jaune place l’arcane XVII sur un plan cosmique. Ce qui est le cas pour toutes les lames de XVI à XX, qui appartiennent au niveau céleste. D’ailleurs, pour chacune d’entre elles, le ciel est animé. Il y a donc expression réelle (la Lune, le Soleil, le Jugement) ou ressentie (la Maison - Diev, L'Étoile) des forces universelles.
La présence d’arbres constitue une exception dans la succession des arcanes du Tarot. Habituellement, la végétation n’est constituée que de simples touffes d’herbe. En dehors de l’Étoile, seul le Bateleur, arcane I, comporte un arbre (un cyprès). L’arbre est un symbole majeur. Il est vénéré dans toutes les cultures comme principe de vie et de longévité. Sa verticalité qui l’élance vers le ciel s’apparente à celle de la tour. Ses racines plongent dans la terre et ainsi il relie véritablement et de manière exemplaire le bas et le haut. Il est dispensateur d’oxygène et donc de vie. À propos de l’arbre, Mircéa Eliade explique que s’il est chargé de forces sacrées, c’est qu’il est vertical, qu’il pousse, qu’il perd ses feuilles et les récupère et que, par conséquent, il se régénère : il meurt et renaît d’innombrables fois.
L’oiseau noir est censé représenter l’âme, par sa couleur et par son déplacement dans l’espace. Il s’apparente à un corbeau, oiseau augural dont on interprétait le vol, annonçant selon la direction et la hauteur un destin favorable ou néfaste.
6. Les étoiles constituent les autres éléments fondateurs de l’arcane XVII. Si la femme exécute, les étoiles sont les inspiratrices. Elles apportent force, lumière et énergie. Elles éclairent et illuminent. Pourtant, elles apparaissent en plein jour. On retrouve dans ce paradoxe celui déjà évoqué par la lanterne de l’Hermite. De même, que l’explication donnée lors de l’étude de l’arcane IX (se reporter à l’Hermite), les étoiles en plein jour prouvent leur effet immuable et permanent. Les étoiles sont toujours présentes dans le ciel, même si c’est seulement la nuit qu’elles nous apparaissent. La clarté solaire les rend invisibles mais pas inactives pourtant. Leur influence continue à s’exercer. Et, c’est justement ce que l’on ne voit pas qui importe car « L'essentiel est invisible pour les yeux» Aussi, l’arcane XVII représente la prise de conscience des forces cosmiques. Ceux qui ne voient les étoiles que la nuit ignorent leur véritable nature.
On peut voir ici aussi une allusion à l’astrologie et à l’influence des astres sur la psychologie et l’existence individuelle. Leur couleur caractérise le jeu des influences : les rouges présentent une activité puissante et ressentie; elles reposent sur les valeurs d’extraversion, de production, de dynamisme : Mars et Jupiter, les bleues suggèrent une influence plus douce mais plus profonde; elles reposent sur des valeurs d’inhibition, d’intériorisation et de réflexion : la Lune et Saturne, les jaunes incarnent les valeurs dominantes des planètes lumineuses : Vénus, Mercure et le Soleil.
7. L’étoile principale allie les effets du rouge et du jaune, on peut y reconnaître l’Étoile polaire, considère comme le centre du ciel et guidant les hommes dans leur évolution. D’autre part, les sept étoiles regroupées autour d’une plus grande évoquent la constellation des Pléiades. D’autre part, elle est agenouillée, posture physique traduisant l’humilité. Le fait de plier les genoux, ou de mettre un genou à terre, intervient comme une volonté d’allégeance et comme une marque de confiance en l’autre. « Dans la symbolique astrologique, les genoux sont liés au signe du Capricorne, signe de terre en ce que la terre a de plus lourd, de plus concentré, de plus secrètement enfoui dans ses profondeurs hivernales».
8. Le contact tête genoux est l’expression d’une union entre le corps (genoux) et l’esprit (tête). La position fœtale témoigne de cette unification primordiale. Dans de nombreuses traditions, la mise en relation de la tête et du genou (position du fœtus, prière islamique, etc.) traduit un désir d’unité, de communication et de communion des plans humain (corps) et divin (tête).
Le Nom
C’est : « L’Étoile »
Définition du Larousse : « Astre doué d’un éclat propre/destinée, sort/personne qui brille d‘un vif éclat par son talent»
La définition du terme précise la valeur éclairante et illuminative des étoiles. Elle leur confère ainsi un caractère positif. Encore une fois, il convient d’insister sur la forme, et plus particulièrement, comme pour l’Amoureux (arcane VI), sur l’emploi du singulier. Certains auteurs ont employé le pluriel dans leur nomination de la dix-septième lame, qui est ainsi devenue : « Les Étoiles ».
Pourtant, la forme au singulier, propre à l’édition originale du Tarot de Marseille, précise l’existence d’un principe unique et supérieur, même s’il se manifeste dans la multiplicité. Il postule ainsi la présence essentielle d’une influence principale à découvrir et à reconnaître si l’on veut en bénéficier. Il s’agit en quelque sorte de trouver son étoile. On peut argumenter la forme par la signification secondaire du terme : étoile = sort ou chance (« être né sous une bonne étoile »).
En dernier lieu, l’étoile, de par sa position céleste et son scintillement, engendre l’admiration. Il faut lever les yeux pour la voir. Comment ne pas penser aux stars (étoiles en anglais).
Sens initiatique
Toute la signification de la lame s’oriente sur la capacité à recevoir. Elle exprime le don dans sa gratuité et dans sa simplicité. Elle montre l’être en communion étroite avec la Nature, participant à son rythme, se fondant en elle. Parfois, l’homme s’oppose à la Terre, par ses constructions par exemple. Ce qui engendre alors une impression de déséquilibre, de dysharmonie, comme s’il enlaidissait la beauté naturelle et originelle du monde. Ici, au contraire, l'homme ne se révèle pas comme un élément extérieur mais plutôt comme un membre interne et pleinement intégré à la Nature.
Secondairement, l’arcane XVII se fonde sur une attitude hautement positive, qui se trouve exprimée dans la réceptivité totale et absolue. Elle décrit les deux termes : donner et recevoir.
Donner, au sens spirituel du terme, implique un comportement ouvert, totalement désintéressé, sans attente de résultat ou d’effet. Ceci correspond à la manière. Quant au destinataire, là encore, le don repose sur une totale ouverture. Il ne s’agit pas de sélectionner ceux qui profiteront du don, d’offrir aux seuls méritants ou aux seules personnes aimées et chéries, mais également de donner, au sens entier du terme, à tous, y compris à ceux qui ne bénéficient pas de l’estime et de l’affection individuelles ou collectives. Le don métaphysique n’accepte aucune compromission, aucune exclusion, aucune limite. Cette universalité du don, cette générosité ou cet amour universel, est prônée dans toutes les traditions, comme garante de l’évolution intérieure.
« Être bon à l’égard des bons, et bon aussi envers ceux qui ne le sont pas, c’est posséder la bonté même».
Recevoir, c’est s’ouvrir pour mieux apprécier, profiter, développer. L’extrême vigilance est nécessaire; elle permet d’être attentif et d’accueillir tout ce que la vie donne constamment et à l’infini. De même que la femme de la carte, la vie, le cosmique, ou encore Dieu, ne cesse de distribuer ses richesses. Mais donner ne suffit pas, encore faut-il que l’objet du don trouve un lieu d’accueil positif, sûr et fiable. Tout réside d’ailleurs dans la capacité de faire fructifier les richesses et ne pas les laisser s’étioler, se vider, perdre de leur substance. Finalement, ce qui demeure essentiel, n’est pas tant ce qui est donné, que la manière dont c’est reçu. Dans les mentalités, les Dons du ciel, appelés talent, chance, grande destinée, protection, sont assimilés à une distribution inégale et injuste. Certains sont favorisés, possèdent tout à la naissance, et d’autres sont victimes d’un sort défavorable et cruel. L’Ordre des Choses paraît dès lors inexistant. Sur un plan réel, certes le fait est indéniable : une personne peut naître et grandir au milieu des plus grandes richesses, dans un environnement affectif satisfaisant et gratifiant, posséder, en outre, la beauté physique, la sensibilité artistique, etc.; alors qu’une autre peut naître et grandir dans la plus grande pauvreté matérielle, en n’étant pas aimée ou mal aimée, en souffrant de désagréments physiques, en ayant apparemment aucun talent, etc. Cependant, au-delà des conditions de naissance, existe l’attitude individuelle. Un individu très défavorisé peut à force de courage, de travail, d’amour, émerger de sa condition et accéder aux plus nobles sphères. Inversement, un individu, « aidé par la nature», en tout cas considéré comme tel, peut souffrir de la facilité de son existence, s’attacher à ses richesses jusqu’à en devenir esclave, ruiner ses plus beaux talents en ne les cultivant pas.
En fait, le don n’est ni mesurable, ni définissable, ni quantifiable. Comparer la chance des uns et des autres n’a aucune réalité spirituelle, car c’est le faire sur une échelle physique et matérielle. Les apparences sont trompeuses. Dire : « il a plus de chance que moi » n’a aucun sens car soit : la chance est le fruit d’un travail, le résultat d’un mérite et, à ce moment-là, il s’agit d’un juste retour des choses, soit, la chance paraît sans cause repérable et il faut là encore s’interroger sur la réalité de la situation. Car un phénomène ou événement jugé très heureux et très positif (comme gagner une grosse somme d’argent, être beau, réaliser un de ses rêves) peut se révéler source de malheur et de douleur; et inversement, un événement jugé très malheureux et très négatif (« je n’ai pas de chance ») peut se révéler source de bonheur, de dépassement et d’élévation. Encore une fois, tout dépend de la manière dont l’événement est traité.
Une épreuve peut constituer un don, dans la mesure où elle fait découvrir des horizons nouveaux, révèle la résistance de l’individu, le pousse à trouver des solutions et donc à se dépasser et à progresser. Certaines personnes, frappées de graves maladies, et ayant œuvré à leur guérison, en témoignent. L’événement catastrophique est devenu source d’épanouissement, révélation de soi-même, prise de conscience de ses potentialités, de son pouvoir, ou encore du divin. Inversement, comment ne pas penser aux vedettes (étoiles) qui recourent au suicide pour échapper à une existence devenue intolérable et qui ont pourtant aux yeux du public tous les trésors, toutes les chances d’être heureux.
En résumé, d’un point de vue initiatique la Maison - Diev et l’Étoile ne sont pas si éloignées que cela dans leur nature et leurs effets. Certes, elles divergent profondément dans leur apparence, mais elles se révèlent très proches dans leur essence. Elles constituent l’une et l’autre des événements conditionnant le devenir humain; c’est à l’individu d’accroître leur positivité manifeste ou latente, d’en extraire l’essence et d’en tirer les bénéfices et les leçons philosophico - spirituelles.
Sens psychologique
L’étoile est majoritairement perçue positivement. Si certains arcanes effraient (XIII, Diable, Maison - Diev), d’autres séduisent et rassurent. L’étoile en fait partie. Elle évoque la Nature dans ce qu’elle a de plus beau et de plus pur. L’harmonie des éléments incline aux émotions positives. Elle représente l’état antérieur aux problèmes, aux malheurs, aux difficultés : une ère paradisiaque. La nudité de la femme contribue à se sentiment de retour aux origines : là où tout était parfait, agréable. En ce sens, la dix-septième carte marque un temps de création, de naissance, de mise au monde non pas lié à la douleur ou au combat, mais rattaché à un âge d’or dans les mentalités individuelles et collectives : comme, par exemple, les débuts d’une relation amoureuse riche en sentiments tendres, en attentions, en plaisirs.
Dans cette perspective, l’Étoile incarne l’idéal, la nostalgie d’un état dépassé, terminé. D’un point de vue psychologique, indiquant la création du monde, elle se rapporte aussi à la naissance de l’homme, et plus particulièrement à la vie intra- utérine. Il existe, à ce moment-là, une relation symbiotique entre la mère et le fœtus : ils ne font encore qu’un; ce n’est qu’ensuite que la division s’opère, et même si elle est seule garante de l’évolution, elle est vécue comme une séparation, une rupture douloureuse et non désirée.
Sur un plan projectif, l’Étoile s’associe, en dernier lieu, à la femme. Ce n’est ni l’incarnation asexuée de la Papesse, ni la figure de maîtresse femme de l’Impératrice, c’est la femme charnelle, douce, tendre, maternelle et aimante. C’est encore la jeune fille, la vierge, la fiancée promise, la jeune mariée, etc. Son corps, bien que dénudé, n’exprime aucune vulgarité mais lui confère une grande féminité. Elle donne une image classique de la femme, avec les qualités morales qui lui sont communément rattachées.
Le Mythe
L’Étoile symbolise la chance, la grâce, la rencontre de sa complémentarité. Mais ces dons n’arrivent souvent qu’après l’épreuve, la tempête. Ariane, abandonnée par Thésée, finit par trouver l’amour grâce à Dionysos et atteint son accomplissement. C’est pourquoi le mythe d’Ariane continue à vivre dans cet arcane du tarot.
Le Bateleur, en arrivant à cette carte, reprend son souffle, se repose des violences de la carte précédente et reçoit l’inspiration donnée par l’amour
L'ETOILE et le mythe d'Ariane
Ariane était la fille de Minos, roi de Crète, et de Pasiphaë, comme Phèdre. Son demi-frère, né de sa mère et d’un taureau sauvage envoyé en Crète par Poséidon, était un monstre, le Minotaure. Le dieu de la mer s’était en effet vengé de Minos qui avait oublié de lui faire des sacrifices en inspirant à Pasiphaë un amour irrésistible pour le taureau. Le Minotaure était le fruit de cette union.
Minos, que l’on disait avisé dans la conduite de son royaume, possédait une nature cruelle et tourmentée. Licencieux, il laissait ses instincts le commander. Sur lui pesaient parjures, mensonges et intrigues. Il affectionnait particulièrement les labyrinthes et avait demandé à Dédale, son architecte, de construire devant son palais, à Cnossos, un jardin labyrinthe où sa fille Ariane dansait lors des fêtes de printemps. Au milieu de ce jardin rempli de plantes rares se dressait un arbre fruitier, personnification de la princesse, associée ainsi à un esprit de la végétation. Lorsque le Minotaure naquit, Minos demanda de nouveau à Dédale de construire un labyrinthe, mais cette fois une œuvre de nuit, souterraine, pour y mettre le monstre. Sorte de bouc émissaire triomphant, subconscient et gardien du seuil, dévorant tous ceux qui pénétraient dans son territoire, le Minotaure symbolisait toutes les tares du royaume de Crète, de son roi aussi.
Dédale, une fois son œuvre réalisée, s’enfuit en Sicile, mais avant de partir il donna à Ariane un peloton de fil qui lui permettrait, et à elle seule, de ne pas se perdre dans cet endroit maudit, de retrouver toujours la sortie.
Minos, ayant gagné une guerre contre Égée le roi d’Athènes, condamna cette cité à lui envoyer tous les neuf ans sept jeunes gens et sept jeunes filles qui serviraient de nourriture au Minotaure. Ils étaient conduits à l’entrée du labyrinthe et devaient combattre le monstre qui se tenait tapi en son centre. Les forces de l’ombre étaient toujours les plus fortes. Car avec quelles armes lutter contre un inconscient (le labyrinthe) et un subconscient non maîtrisé (le Minotaure), témoin des fautes des dirigeants du royaume, matérialisation de leurs états d’âme?
Le fils d’Égée, Thésée, fut un jour désigné par le tirage au sort pour faire le voyage de Crète et figurer parmi les victimes du monstre. Il décida de l’affronter pour mettre fin à ce rite sanglant et partit consulter l’oracle de Delphes. Thémis régnait encore sur ce lieu. La Titane conseilla à Thésée de mettre son épreuve sous la protection d’Aphrodite, son arme devant être l’amour. Cependant Thémis lui promit de lui prêter son épée le moment venu. En rentrant de Delphes, Thésée fut attaqué par un brigand. Pour la première fois le fils du roi d’Athènes, dont la force était remarquable, rencontrait un adversaire à sa mesure. Et lorsqu’il l’eut tué, il interpréta cette victoire comme un bon présage; il s’empara de l’arme du brigand, une massue de cuir, et ne la quitta plus. Avant de s’embarquer pour Cnossos, Thésée fit les sacrifices nécessaires pour se concilier les bonnes grâces de la déesse. Le bateau avec son chargement voué à la mort partit, muni de voiles noires; Thésée avertit son père que, s’il rentrait triomphant, il les changerait et hisserait en signe de victoire une voilure blanche. Arrivés en Crète, les jeunes gens et les jeunes filles participèrent, selon l’usage, à des fêtes. Ariane dansa dans le labyrinthe végétal; elle n’avait d’yeux que pour Thésée. Aphrodite, présente et invisible, réalisait ainsi la promesse de l’oracle de Delphes, elle introduisait l’amour dans le cœur d’Ariane. Celle-ci alla supplier son père d’épargner Thésée, mais en vain. Alors Ariane prit à part le fils du roi d’Athènes et lui dit son amour, sans réserves, guidée par un cœur pur. Elle lui demanda, si elle l’aidait à tuer le Minotaure et à sortir du labyrinthe, de l’épouser et de l’emmener loin de la fureur de son père.
Thésée promit mariage et fuite. Ariane lui donna le peloton de fil magique après l’avoir elle-même accroché à la porte lorsque Thésée pénétra dans l’antre souterrain du monstre. Elle lui tendit aussi l’épée de Thémis. La Titane et la déesse de l’amour se retrouvaient donc en Ariane. Mais Thésée, qui avait vu Phèdre, en était tombé amoureux. Il refusa donc l’épée, gardant avec lui son arme de brigand. Alors Thémis se retira de l’épreuve. Aphrodite fut seule à continuer d’accorder sa protection à Thésée, à condition qu’il ne flétrisse jamais l’amour d’Ariane, sa chance.
Lorsque Thésée s’engagea dans la nuit du labyrinthe, Ariane l’éclaira de sa couronne, don de Thétis, la néréide. Cette parure ne devait être posée sur la tête de la jeune fille que par les mains de l’homme qui l’aimerait; elle lui prédisait un grand royaume. Thésée, soutenu par ces multiples aides, trouva vite le Minotaure et le tua avec sa massue de cuir, arme primitive symbolisant les instincts bruts, la force animale. Puis il retrouva facilement la sortie grâce au peloton de fil d’Ariane.
Après la mort du Minotaure, la ville fut envahie par une sorte de folie; le roi et ses sujets furent pris dans des rafales de vents d’enfer et des puissances maléfiques se déchaînèrent. Thésée en profita pour enlever Ariane et sa sœur Phèdre; avec son équipage, il fractura à coups de hache les coques des navires minoens pour retarder toute poursuite et il fit route vers le royaume d’Égée. Thétis ne protégeait plus le voyage, la mer fut donc houleuse.
Thémis était délivrée de sa promesse de Delphes. Seule Aphrodite attendait, inquiète, l’issue. Thésée, en vue d’une île, Naxos, ordonna une escale de quelques heures. Ariane épuisée s’endormit sur la plage auprès de Thésée. Dès que la tempête s’apaisa un peu, celui-ci ordonna de réembarquer, mais laissa Ariane endormie sur le rivage. Lorsqu’elle se réveilla, elle vit disparaître à l’horizon les voiles noires du bateau de l’homme qu’elle aimait. Alors Aphrodite abandonna Thésée.
Ses pleurs ne calmèrent pas la douleur infinie qui déchirait Ariane. Près d’elle se trouvaient le peloton de fil et sa couronne. Elle partit à la recherche d’un arbre, à l’intérieur des terres, pour se pendre. Elle s’apprêtait à mourir quand les femmes de l’île lui portèrent aide et coupèrent le fil. Ces femmes avaient passé l’hiver en Thrace avec leur dieu Dionysos, bacchantes hallucinées et dansantes. Revenues sur leur île jusqu’au prochain hiver, elles y cultivaient les champs. Ariane resta auprès d’elles; chaque jour elle se rendait sur le rivage pour guetter le retour improbable de son amour. Ariane, espérance! Thétis alors, du fond de la mer, pensa que les temps étaient venus et décida d’aider Dionysos à trouver sa parèdre, l'autre partie de lui-même. Le dieu, aux approches de l’hiver, comme chaque année, monta sur son navire aux voiles noires pour rassembler ses bacchantes et voguer vers la Thrace. Lorsque son bateau croisa au large de Naxos, les femmes, au lieu de se jeter à la mer et de rejoindre le bateau comme elles en avaient l’habitude, hélèrent le dieu, inspirées par Thétis. Dionysos, surpris, descendit à terre; Ariane, à la vue des voiles noires, avait cru au retour de Thésée. Elle s’évanouit de douleur en voyant apparaître à la place de son amour le dieu bouclé aux airs de fille, au corps un peu lourd et blanc. Dionysos la prit dans ses bras et la berça longtemps; puis au matin il reprit sa route en promettant à Ariane de revenir la chercher. À la fin de sa passion, lorsqu’il devient Iacchos l’initié, il délivra sa mère Sémélé des enfers et, libre de tout lien d’amour, il s’embarqua pour Naxos. Ariane, sur la plage, l’attendait, indécise. Il fit jaillir de ses doigts la vigne et orna les cheveux d’Ariane de pampres. Alors la jeune fille lui tendit la couronne de Thétis et Dionysos la posa sur sa tête. Ils restèrent longtemps enlacés dans la nuit froide puis marchèrent vers la mer; Dionysos lança vers le ciel la couronne de pierres précieuses qui se transforma en étoile. Étroitement embrassés, ils glissèrent au fond de la mer, vers la grotte marine où les attendaient Thétis et les naïades. Tout l’été ils restèrent sous l’eau. Depuis, au printemps, Ariane, sur son étoile la Couronne boréale, danse pour son dieu les rythmes de son adolescence crétoise. En automne et en hiver, elle l’attend à Naxos, lieu de sa mort symbolique et de sa résurrection par l’amour.
En Grèce ancienne, les fêtes d’Ariane et de Dionysos se passaient au mois de mars; on suspendait leurs images aux arbres pour les protéger des intempéries. Ariane était ainsi assimilée à une déesse de la végétation, mais toujours accompagnée de son dieu bruyant et révélateur.
SURVIVANCES POPULAIRES
Ariane celtique : En Irlande, une légende raconte qu’une fée gardait un bois sacré contenant un trésor interdit aux hommes. Un prince s’y aventura et la fée le trouva si beau qu’elle lui donna un fil magique pour qu’il ne se perde pas, à la condition qu’il la prenne pour femme. Il accepta, et guidé par le fil, découvrit le trésor; mais revenu près de la fée, il renia sa promesse et refusa de l’épouser car, dit-il, on ne peut avoir des enfants d’une nymphe des bois. De douleur la fée se pendit à un arbuste, et depuis celui-ci porte des fruits d’or. C’est le noisetier.
Les fées dans le folklore : Pendant longtemps, jusqu’à ce que le Concile d’Arles interdise de leur rendre hommage, dans toutes les campagnes, on honorait les fées, fileuses, marraines, gardiennes des bois et des baies sauvages. Elles possédaient plusieurs dons : elles amenaient l’amour, la chance, souvent au détriment d’elles-mêmes ; elles filaient le fuseau du destin, en douceur; elles gardaient les richesses des bois et faisaient tomber la pluie. Il valait mieux ne pas les rencontrer la nuit, car alors elles étaient en peine, lavant du linge en pleurant dans les fontaines ou errant dans des ruines à la recherche de l’homme qui les avait trahies. Si quelqu’un les surprenait au bain, dans une fontaine, surtout un homme, il devait se détourner et éviter de les regarder. Mais si un insolent jetait les yeux sur une fée, elle lui demandait immédiatement de l’épouser. S’il refusait, elle lui prédisait qu’il ne pourrait plus être aimé pendant sept ans et qu’il en mourrait de chagrin. La coutume voulait, lorsqu’on cueillait des baies sauvages ou des fruits dans une forêt, d’en laisser un petit tas au creux d’un arbre pour que la fée du bois en profite et surtout rende la récolte de l’année suivante plus belle. Il y a encore peu de temps, dans les Balkans, en période de grande sécheresse, une jeune vierge était promenée nue dans la campagne, les cheveux dénoués, pour attendrir les fées protectrices de l’eau. Marraines des enfants pauvres, elles venaient accorder le cinquième jour des relevailles les dons à leur filleul. Fileuses, elles tissaient des toiles splendides, mais malheur à qui les surprenait la nuit en train de les laver : la toile se transformait en linceul pour l’indiscret. En revanche, si un homme avait le bonheur de leur plaire, elles lui confiaient un fil magique qui lui évitait de se perdre dans les bois et les forêts.
Les fées, cette charmante survivance du mythe d’Ariane, ont succombé, bien sûr, à leur condamnation par l’Église; elles ont perdu peu à peu l’habitude de venir hanter clairières et rivières. Mais s’y trouveraient-elles encore que les hommes ne les verraient plus !