LE PAPE
Interprétation
1. Le Pape est représenté sous les traits d'un homme âgé, certainement davantage pour évoquer l'expérience que par conformité à la réalité. Il s'agit plus de la vieillesse prise dans sa dimension symbolique que de l'âge réel du personnage. Il constitue une référence morale et spirituelle et, à ce titre, son âge avancé lui confère les qualités nécessaires à sa mission de guide, de médiateur et de confident. Les deux colonnes bleues l'encadrent, telles des gardiennes célestes. Elles sont plus immatérielles et moins en fermantes que le trône chair de l'Impératrice. Le pouvoir du Pape est spirituel alors que celui de l'Impératrice est matériel.
2. Nous avons déjà abordé avec la Papesse la symbolique des trois étages de la tiare. Le Pape est également détenteur d'une croix sur laquelle il est intéressant de s'arrêter quelques instants. A partir du XVe siècle, seul le Pape a droit à la croix à trois traverses; la croix double revenait au cardinal et à l'archevêque, la croix simple à un évêque.
D'un point de vue symbolique, la croix papale fait référence au ternaire, au septénaire et à l'Unité :
Le ternaire est représenté par les trois branches de la croix qui participent au même symbolisme que les trois étages de la tiare. Sont manifestés respectivement et de bas en haut les plans : physique, psychique et spirituel.
Le septénaire correspond aux sept extrémités, terminaisons arrondies des branches et du sommet de la croix. La spiritualité se porte sur tous les êtres et toutes les choses. L'univers est constitué par ce nombre sacré entre tous. Ainsi, trois correspond à l'espace tridimensionnel et sept correspond au temps.
L'Unité enfin est représentée par le sommet de la croix ainsi que par l'addition théosophique de 7 + 3 = 10 = 1. Dieu est Un. L'expression divine est une et unique. Toute démarche spirituelle tend à retourner à cette origine primordiale.
La main est revêtue d'un gant jaune. La couleur fait évidemment référence à la nature divine, signifiant ainsi qu'il ne s'agit pas ici d'une main humaine, faite de chair et de peau, mais d'une main céleste immatérielle. Sur un plan réel, le gant est synonyme de protection. Il protège d'ailleurs autant la main que l'objet touché. Il permet surtout de ne pas laisser d'empreintes car la spiritualité, manifestée dans la croix, ne saurait appartenir à personne. Nul ne peut laisser sa marque ou sa trace. Peut-être aussi est suggéré, à travers ce symbole, le danger que peut comporter l'illumination. Il faut être préparé, mûr pour accueillir la Révélation; sinon, elle risque de détruire plus que d'élever.
Quant au signe qui est inscrit sur le gant, il a donné lieu à de nombreuses spéculations. Certains y reconnaissent une croix pour mieux garantir l'aspect religieux de l'arcane. Parfois même, on l'identifie à une Croix de Malte, en référence au fameux ordre du même nom. Il est vrai que dans une lignée initiatique, les comparaisons des symboles du Tarot, aux écoles religieuses, aux arts traditionnels, aux courants ésotériques divers, ne manquent pas. Effectivement, le Tarot peut, étant donné l'extrême diversité de sa symbolique, se revendiquer de différentes traditions. Cependant, il faut prendre garde à ne pas, dans un souci de reconnaissance de paternité, l'enfermer dans des cadres trop rigides pour un outil qui se veut libre et universel. Son anonymat, c'est-à-dire le fait qu'il n'appartienne ni à un créateur connu ou reconnu, ni du même coup à un courant de pensées spécifique, devrait normalement le préserver d'appropriations douteuses et illégitimes.
D'autres encore, à propos de l'inscription, évoquent un signe kabbalistique, appuyant ainsi leur thèse d'une œuvre en relation avec l'alphabet hébraïque, déjà mise en évidence par l'étrange coïncidence qu'ils voient dans la correspondance du nombre des vingt-deux lettres hébraïques et des vingt-deux arcanes majeurs du Tarot. Cette "étrangeté" n'est d'ailleurs étrange que pour ceux qui ne se sont jamais donné la peine d'en chercher la vraie raison.
En dernier lieu, on peut discerner un trèfle à quatre feuilles, symbole de rareté. Le Pape étant une exception : sa position et son extrême sagesse, sur un plan symbolique s'entend, ne peuvent être que le divin fruit d'un long cheminement.
Ce qui est certain, puisque toutes ces hypothèses sont à la fois acceptables en tant que suppositions mais non vérifiées, c'est que le signe a pour effet, tout comme le gant, de mettre en évidence la qualité de l'acte. Ce n'est pas n'importe quelle main qui tient la croix papale, c'est une main gantée d'or et ce n'est pas n'importe quel gant doré qui recouvre la main, c'est un gant portant un signe distinctif. On s'approche ainsi de la notion d'Unique.
3. Nous venons d'évoquer longuement la main gauche, toutefois, la main droite demeure la plus puissante.
Toute la signification de l'arcane réside en ce point, et plus spécifiquement, dans l'acte accompli. Le Pape fait un geste de bénédiction, c'est-à-dire qu'il pardonne, accorde, accepte. L'effet de l'arcane ne pourra donc être que positif. Nous ne nous trouvons pas ici dans l'aspect rigoureux, austère, voire inquisiteur de la religion, mais dans sa dimension miséricordieuse, protectrice et aimante. Ce geste nous éclaire sur la signification divinatoire de l'arcane : il produit un augure favorable; le consultant peut compter sur l'aide, l'appui et la compréhension d'une autorité supérieure.
4. De même que pour l'Empereur, le rouge vient recouvrir le bleu, donnant force et énergie aux deux personnages. L'arcane V est donc, bien que le Pape soit assis, extrêmement actif. Il a une action réelle sur les situations en place et sur le cours de choses. Également, le Pape, à la différence de l'Hermite, ne symbolise pas l'introspection, mais bien plus l'entrée en relation par la transmission d'une énergie bienfaisante. Cependant, la arcane n'exprime pas pour autant la communication (comme Tempérance, arcane XIV) car si le personnage central est actif, ceux du bas sont passifs. Il n'y a pas échange mais don. Le Pape distribue sans rien demander en retour.
5. De toute évidence, le personnage du Pape est supérieur en volume aux deux moines se trouvant à ses pieds. Il occupe, sur un plan graphique, les deux tiers de la carte car toute la puissance lui revient. Cette disproportion confirme ce qui vient d'être énoncé précédemment, à savoir qu'il incarne l'élément actif et principal.
6. C'est la première fois (en partant du Bateleur) que nous sommes en présence de plusieurs individus représentés sur une même arcane. Jusqu'à présent, les personnages étaient solitaires, entourés simplement d'objets. Ici, on remarque trois êtres incarnés, bien qu'il soit difficile d'ailleurs, au niveau du plan inférieur, d'affirmer avec certitude la présence de deux personnages. En fait, on ne définit pas exactement leur nombre. On reconnaît aisément deux têtes tonsurées; il est plus difficile par contre de trancher sur la nature du bras qui apparaît dans l'angle inférieur droit de la carte : appartient-il au moine ou est- ce le bras d'une troisième personne, qui éventuellement serait chargée d'introduire ses deux compagnons auprès du Pape ? Rien ne peut être affirmé et, dans l'incertitude, le doute est préférable.
Le Tarot, en fait, nous convie à méditer sur ses ambiguïtés graphiques ou symboliques. Elles ont certainement pour rôle de nous inviter à nous interroger encore plus. On peut penser que l'indétermination qui réside au niveau du nombre des personnages exprime la notion de quantité. Peu importe qu'ils soient deux, trois, quatre, cinq, dix ou même cent, la bienveillance céleste est illimitée et n'est pas réservée à quelques individus privilégiés. L'être n'est jamais seul à en bénéficier (c'est pourquoi il n'y a pas qu'un seul moine mais plusieurs). Selon Paul Marteau : « Les deux personnages à ses pieds symbolisent le dualisme des forces qui sont en l'homme et qui peuvent se tourner vers le bien ou vers le mal, selon qu'elles se dégagent de la matière ou s'y enfoncent »
La tonsure les apparente à des religieux. Ceci n'étant pas à interpréter en lecture réelle mais métaphorique. Seul le méritant (entendu celui qui s'efforce d'agir positivement) accède à la bénédiction. La parabole « Aide-toi, le Ciel t'aidera » illustre ce principe à la perfection. Pour bénéficier d'un appui supérieur ou céleste, il est nécessaire d'adopter un comportement réceptif et confiant. « Demandez, et l'on vous donnera; cherchez, et vous trouverez, frappez, et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l'on ouvre à celui qui frappe ».
Leur petite taille peut soit s'expliquer par l'humilité dont il faut faire preuve, quasiment de l'ordre de l'effacement, soit par la référence à l'enfant et donc à l'innocence qui doit être celle du demandeur.
Le Nom
C'est : "le Pape"
Définition du Larousse : "Chef de l'Église catholique romaine/Chef suprême d'une Église quelconque/Personnage qui jouit d'une autorité morale souveraine".
Par sa définition, l'arcane V apparaît comme le plus puissant dans son influence. Sa dénomination évoque un pouvoir moral, religieux et intemporel. Le Pape est la référence incontestée : sa parole pèse lourd, son refus ou son accord sont sans appel. Par rapport à la Papesse, il a une réalité et ne tient pas du mythe. Par rapport à l'Impératrice et à l'Empereur, si, eux veillent sur les corps, lui, veille sur les âmes.
Il convient d'élargir sa signification à toute l'humanité, à toutes les croyances. Il ne faut pas réduire le Pape du Tarot de Marseille à la seule fonction de Chef de l'Église romaine, mais plutôt il convient d'étendre sa portée à une autorité universelle et indépendante.
Sens initiatique
Le Pape constitue une exception dans la continuité des arcanes majeures, en ce sens qu'il ne représente pas le consultant, dans une phase particulière de son évolution, ni une expérience à vivre, ni même une qualité à développer (comme le signifieront la Justice, la Force et Tempérance), mais il situe une rencontre nécessaire à la prise de conscience de l'existence du divin. Il incarne, à ce titre, le Père, le Maître spirituel, le Guide intérieur, la Conscience morale. Il ouvre le Tarot à une dimension religieuse.
La croyance en l'au-delà, la définition d'un principe divin, exprimée dans l'unité (monothéisme) ou dans la pluralité (polythéisme), la pensée magico - religieuse, ont toujours constitué les piliers des sociétés humaines. L'homme, à quelque stade que ce soit de son évolution, a toujours fait référence à des forces supérieures et surnaturelles. Toutes les sociétés se fondent sur la croyance en des déités, des figures cosmiques, immanentes ou transcendantes. Cette définition permanente de divinités s'explique par l'intervention d'événements apparemment non justifiés, et surtout non désirés, dans la vie individuelle et collective. Les catastrophes naturelles, les accidents, les cataclysmes, mais aussi les guérisons spontanées, le talent, etc. apparaissent comme imprévisibles et semblent se manifester sans cause repérable et identifiable.
Pour cette raison, en des temps plus reculés, l'homme n'avait pas d'autres alternatives que de subir son sort. Face aux menaces permanentes que représentaient la sécheresse, la famine ou les guerres, la religion remplissait parfaitement sa fonction de conteneur, en excusant les « désagréments » de la quotidienneté, par l'espoir en des jours meilleurs avec le postulat d'un paradis. Cette conception de l'au-delà avait comme double avantage d'assurer, dans un seul et même mouvement, la résignation devant les difficultés terrestres et l'espérance en des réjouissances célestes.
La religion a donc une valeur sociale, économique et même politique; mais ce que l'arcane V révèle, c'est la réalité du divin. Plus encore, il indique le moyen de s'allier ces forces qualifiées de cosmiques ou surnaturelles. L'appui est donné à celui qui le demande. Et, la demande repose sur une reconnaissance du principe supérieur. Le divin apparaît ici dans sa dimension positive, bienveillante et généreuse. Il ne s'agit dès lors pas d'une conception religieuse punitive fondée sur la peur.
Le Pape invite à reconnaître le divin existant en toutes choses, de le découvrir en soi-même et chez l'autre et d'adopter une attitude confiante, ouverte et aimante.
Sens psychologique
D'un point de vue psychologique, le Pape pose la question du rapport de l'homme au divin. Dans une perspective freudienne, Dieu n'est qu'une création mentale, en quelque sorte une production de l'imaginaire, ayant pour rôle de rassurer, de donner du sens à la vie et de soulager les angoisses de mort.
Freud distingue trois grandes phases dans le développement de l'humanité auxquelles il fait correspondre trois grands stades dans le développement de la libido individuelle :
La phase animiste correspond au stade du narcissisme. Dans cette position, l'homme s'attribue la toute-puissance.
La phase religieuse correspond au stade d'objectivation, avec fixation de la libido aux parents. Dans cette position, l'homme attribue la toute-puissance à Dieu, c'est-à-dire aux parents.
La phase scientifique correspond à la subordination du choix de l'objet extérieur aux exigences de la réalité.
L'arcane V illustre donc la deuxième phase. Mais, en fait, en se dissociant de la psychologie freudienne, le divin paraît incontournable. Car, dans la troisième phase, il s'agit toujours pour l'être humain d'imposer aux objets de la réalité extérieure les lois de la vie psychique, que ce soit par des pratiques magiques ou par des découvertes technologiques. Le progrès scientifique n'a fait que satisfaire d'ailleurs, de mieux en mieux, ce but. En effet, dans le même temps où il s'assure la maîtrise de quelque chose, l'homme augmente l'incertitude de cette maîtrise. L'automobile a certes permis à l'homme d'affirmer son pouvoir sur l'espace mais, dans le même temps, cette création a généré un moyen supplémentaire et efficace de mourir ou de porter atteinte à son intégrité corporelle. Au XXe siècle, il y a donc toujours autant d'incertitudes, même si elles sont différentes que celles qui prévalaient dans les siècles antérieurs. C'est sans doute ce qui explique la permanence de la référence au divin, la persistance de la croyance religieuse.
Sur un plan psychologique, l'arcane V situe l'autorité, pas forcément religieuse d'ailleurs, nécessaire au développement individuel. Il exprime également la reconnaissance de la valeur des autres, le fait de ne pas se percevoir comme le « meilleur » ou le « centre du monde » mais d'accorder à autrui une valeur au moins égale, si ce n'est supérieure, à la sienne.
Le cinquième arcane pourrait constituer l'Idéal du Moi, instance psychique associée au Surmoi, qui correspond aux modèles idéaux auxquels l'homme cherche, consciemment mais surtout inconsciemment, à se conformer (parents, héros, idoles...).
Le Mythe
La tradition donne au Pape l'analogie avec le signe du Taureau, celui paisible et fécondant du mois de mai, l'animal en majesté. Ce temps pour les anciens voyait l'éclatement de la fertilité céleste qui, à travers le taureau, passait dans la matière. L'animal sacré reliait la nature triomphante à l'homme et lui apprenait les alliés naturels. Au Moyen Âge, celui qui reliait, le médiateur, c'était le Pape. Cette carte prit donc son nom. Mais le taureau règne toujours sur elle. C'est pourquoi les rites de son mois, le mai, continuent à vivre dans cet arcane du tarot.
Le Bateleur, en arrivant à cette carte, va incorporer toutes les potentialités et les richesses des quatre arcanes précédents, pour les rendre matériellement utilisables en se servant de la nature pour progresser dans son voyage.
Le PAPE et les rites du mois de mai
Le 21 avril, le soleil entre dans le signe du Taureau. Une période de transition, dite dangereuse, entourée de rites de protections, commençait pour les anciens. Les bergers quittaient les villages pour les pâturages des montagnes ou des collines environnantes. Les membres de cette caste protectrice et magicienne partis, rien ne protégeait plus les agglomérations. Pendant neuf jours et neuf nuits, les puissances solaires luttaient contre les forces de la nuit. La population attendait dans l'angoisse le point culminant de ce combat sans merci, le 30 avril, la nuit de Walpurgis.
La nuit de Walpurgis : Depuis toujours, dans toute l'Europe, la nuit du 30 avril au 1er mai est une date réputée funeste. Les petits dieux protecteurs du foyer, les dieux lares, quittaient l'âtre pour aller retrouver dans les champs et les bois les esprits. Il fallait enfermer les bêtes de bonne heure, leur accrocher à la queue du sorbier ou de la marjolaine, mettre de l'églantine un peu partout, dans les étables, aux portes des maisons. Les honnêtes gens, cette nuit-là, restaient chez eux; gare au curieux qui mettait le nez dehors. Les esprits malfaisants menaient la sarabande, couronnés de fleurs, et s'ils surprenaient quelqu'un à les regarder, ils l'obligeaient à entrer dans leur ronde et à danser jusqu'à la mort. Les bossus, les contrefaits risquaient d'être tirés de leur lit par les forces invisibles pour danser eux aussi durant toute la nuit maudite. Les puits, les sources, les rivières étaient empoisonnés par le sperme des dragons. Les sorciers volaient et jetaient des sorts aux bêtes et aux habitants des étables et des maisons non protégées par le sorbier ou la marjolaine. Dans certaines régions, on suspendait au cou des animaux un talisman de plus, une clochette, dont le bruit était considéré comme purificateur. Parfois on immolait avant la nuit un agneau ou un jeune taureau ou un coq qui était chargé de purifier le village. On enterrait sa tête au centre de celui-ci. Dans d'autres régions, des colliers d'ail servaient de protection contre les chasseurs de l'ombre.
Enfin les forces solaires triomphaient de la nuit et le 1er mai était un jour très occupé. On devait d'abord purifier les fontaines, les sources, les rivières du sperme des dragons. On fouettait l'eau avec des branches fleuries d'églantines; puis on allumait de grands feux pour rejeter l'haleine fétide que les bêtes monstrueuses de la nuit avaient laissée dans l'atmosphère. Ensuite on cueillait le muguet, qui n'a aucune propriété pharmaceutique mais a toujours été lié en Europe aux cultes anciens célébrés le 1er mai. On remplaçait le sorbier ou la marjolaine attachés aux queues des animaux par un brin de cette fleur. Les chats qui avaient été jetés dehors pour danser avec "les autres" pouvaient rentrer dans les maisons et les œufs pondus cette nuit-là étaient enfouis sous terre. Dans les pays montagneux, on cueillait la verveine, à reculons.
Pour finir, les habitants des villages allaient en procession chercher l'arbre de mai, frêne, sorbier ou noisetier. Le bûcheron, lorsqu'il arrivait près du bosquet sacré demandait pardon à l'arbre qui allait être abattu et priait l'esprit de la nature qui l'habitait de passer sur un autre arbre avant de le couper. On le ramenait en grande pompe au centre des agglomérations et on le décorait des premiers fruits et de fleurs. On traçait un cercle autour de lui et on procédait à son mariage.
Les mariages ont longtemps été interdits pendant le mois de mai en Europe de l'Ouest et du Nord car c'était le mois où l'on mariait l'arbre et où les dieux s'épousaient sur terre et dans le ciel. De là vient une superstition encore vivace : il ne faut pas se marier en mai, la femme serait stérile.
Une jeune fille, la plus jolie du village, ou celle qui devenait pubère cette année-là, couronnée d'aubépines, épousait l'arbre de son corps pendant qu'une ronde commençait autour d'elle. Elle devait appuyer son flanc droit contre le tronc pour avoir des enfants mâles. Cette jeune fille était sûre de se marier dans l'année et quêtait des oboles en nature et de l'argent qui constituait sa dot, après la cérémonie.
S'il pleuvait pendant la danse, c'était bon signe, les récoltes seraient excellentes; si le rossignol chantait, la jeune fille serait heureuse et aurait beaucoup d'enfants. Le bûcheron accrochait à ses vêtements des branches et se transformait ainsi en "homme vert" figurant pour un jour l'esprit de la nature. Boissons, victuailles étaient distribuées pendant la ronde qui se terminait à l'aube. On recueillait alors la rosée, on s'en lavait le visage, on en frottait le pis des vaches et on marchait pieds nus dans l'herbe pour fortifier son corps pour l'année.
L'arbre de mai restait sur place jusqu'à la Saint Jean où il était brûlé.
Au Moyen Âge, les rites du mois de mai demeuraient très vivants malgré les interdictions et les excommunications de l'Église. Ils étaient populaires et accomplis avec dévotion dans les villages et les villes. De nombreux petits saints prirent même la place des dieux du foyer, et firent office de protecteurs, de médiateurs. Les gens leur demandaient de bonnes récoltes, des pluies bienfaisantes, etc. S'ils étaient exaucés, ils jetaient des fleurs sur les petites statuettes, sinon ils allaient jusqu'à leur mettre les fesses dans les orties. Cette coutume était encore vivante entre les deux guerres en Alsace.
Une autre date était très importante pendant le mois de mai dans le sud de la France et en Afrique du Nord. C'était le jour qui suivait le coucher des Pléiades, étoiles de la constellation du Taureau. Après un repas rituel, les hommes et les femmes se retrouvaient dans une caverne et s'unissaient toute la nuit à des partenaires de hasard.
La pleine lune de mai : Cette période a toujours été considérée comme dangereuse; si elle coïncidait avec le lever des Pléiades, elle devenait fatale. Il fallait alors lier un taureau à un chêne, auprès de l'arbre de mai, et le laisser passer la nuit au clair de lune. Ce rite était sûrement la survivance d'un sacrifice sanglant.
Les femmes qui, encore le siècle dernier en Europe, portaient les cheveux dénoués pendant tout le mois de mai pour garder les énergies libres, les ramassaient à la pleine lune sous un bonnet. Elles ne faisaient la lessive ni au début ni à la fin du mois, cela aurait été cause de la mort d'un homme dans le village.
Il est curieux de noter qu'à la pleine lune de mai, à l'autre bout de la terre, les moines "Bonnets rouges", disciple de Milarepa, mystique du XIe siècle, observent le jeûne et prient toute la nuit.
Survivances populaires
D'après Van Gennep, "les fêtes de mai se rattachent à un très ancien passé de croyances communes à tous les peuples indo- européens, qui dans leur marche vers l'Ouest, apportèrent d'Asie, puis du Moyen-Orient la base de nos traditions populaires".
La religion chrétienne essaya très vite de contrecarrer ces coutumes. Elle commença par faire venir d'Irlande une sainte Walpurge dont la fête fut fixée le 30 avril. Mais cela ne changea rien aux croyances sur la nuit de Walpurgis, on célébra la sainte discrètement, le lendemain. Pour en finir avec ce mois démoniaque, l'église institua le mois de Marie. Mais comme aucune déesse n'avait eu de pouvoir sur le mai où les rites sexuels et le culte du taureau dominaient, cela n'empêcha pas les cérémonies; elles se tinrent simplement dans des lieux éloignés de toute habitation, qui échappaient à la surveillance cléricale. Enfin le Concile de Milan, au XVe siècle, interdit la pratique de l'arbre de mai. Jusqu'aux années soixante, il existait encore dans certaines régions; il était dressé devant les mairies, les préfectures et arborait des cocardes bleu, blanc et rouge, modernes sacralisations, en hommage à la république.