LE PENDU
Interprétation
1. Succédant à la jeune femme de la Force, on retrouve un personnage masculin. Celui-ci est particulièrement musclé. Il présente une constitution robuste et pourtant elle ne lui est d'aucune utilité. C'est pourquoi, la force intérieure, incarnée dans le onzième arcane, est supérieure à la force physique, affichée par le Pendu. A l'exception des constructeurs de la Maison - Dieu, de tous les personnages du Tarot, il est le seul à avoir la tête en bas. Cette posture inversée produit deux effets : sur le plan matériel, elle indique l'impossibilité d'agir et de réaliser (ne plus avoir les pieds sur terre); sur un plan spirituel, par contre, elle représente une autre vision de la réalité, un regard différent sur les choses et les êtres (il voit l'intérieur et non plus la surface).
D'un point de vue historique, la pendaison par un pied constituait un supplice infligé aux chrétiens des premiers siècles. A l'époque romaine, cette torture était appliquée, associée parfois à d'autres désagréments. L'humiliation s'ajoutait à la souffrance car il s'agissait avant tout d'exposer, afin de les déshonorer, les suppliciés devenus impuissants : certaines femmes, par exemple, étaient entièrement dévêtues, pour que tous puissent voir leur sexe. La pratique, bien que plus rarement appliquée, a persisté jusqu'au Moyen Âge.
En observant attentivement la carte, on s'aperçoit que le personnage n'est pas réellement pendu. De même que pour l'arc du Cupidon de l'arcane VI, qui ne comporte pas de corde, rendant ainsi impossible le tir d'une seule flèche, la corde ne lui passe pas autour de la cheville. Si l'on se place au plan réel, il ne devrait pas tenir dans cette position. Par contre, si l'on se livre à une lecture symbolique, on peut penser que s'il n'est pas attaché dans son corps, il l'est dans sa tête. Et le mental, l'enchaînement aux pensées suffisent seuls à le maintenir ainsi.
D'autre part, la corde se situe au niveau du talon gauche. Or, en référence au symbolisme du corps humain, le talon exprime la vulnérabilité et le pied est chez les égyptiens le hiéroglyphe employé pour désigner l'âme (voir Achille ou encore Œdipe, pied enflé). A sa constitution solide et musclée, le pendu oppose une fragilité; et c'est là justement qu'il est touché. A son apparente force, le pendu oppose une faiblesse qui suffit à le réduire en état d'esclavage. Car la corde emprisonne, elle attache et lie. Elle ôte la liberté, supprime l'indépendance, entrave toute possibilité de mouvement. Mais que représente-t-elle au juste ? Qu'est-ce qui lie véritablement le personnage ? A quoi est-il attaché, au point de sacrifier sa liberté ?
2. Aux deux extrémités du corps (pieds et tête), la couleur bleue apparaît. Plus que jamais, elle revêt sa signification de passivité. Lorsque l'action est empêchée, il convient d'être réceptif. Au lieu de faire, il faut accepter de défaire. De plus, comme nous l'avons déjà évoqué au sujet de l'Amoureux, les cheveux bleus octroient à l'arcane une valeur initiatique, constituant ainsi une épreuve obligée, un pont à franchir, une évolution promise.
Naturellement, le personnage n'est pas entièrement passif, du rouge apparaît au niveau des bras et des jambes, qui lui confère une énergie puissante et réelle. Mais celle-ci demeure potentielle car elle ne peut s'échapper du corps, se dispenser au dehors : elle n'atteint pas les extrémités (pieds bleus et mains cachées). Aussi, elle constitue un réservoir et permet surtout de conférer au personnage une vitalité et une vigueur entières.
Il convient de considérer maintenant les neuf boutons : trois inférieurs et six supérieurs, parce que leur nombre met en évidence l'interaction des arcanes entre eux. Plus précisément, il révèle l'existence d'une seconde chronologie. La première concerne l'ordre numérique des cartes (de I à XXI), figurant respectivement des étapes, des situations ou des états spécifiques et ordonnés. La deuxième hiérarchie s'établit sur un rythme ternaire. Déjà, les trois vertus (Justice Force et Tempérance) justement espacées de trois en trois, avaient fait pressentir ce fonctionnement cyclique. Le Pendu réaffirme l'existence d'un ordre invisible mais tout aussi important.
En effet, dans cet arcane se retrouve le trois ainsi que tous ses multiples :
3 = 3 boutons inférieurs 6 = 6 boutons supérieurs ou 6 bourgeons d'un tronc 9 = Totalité des boutons 12 = Totalité des bourgeons 15 = 12 bourgeons + 3 boutons inférieurs 18 = 12 bourgeons + 6 boutons supérieurs 21 = 12 bourgeons + 9 boutons
Par l'addition, on ne peut aller au-delà de 21. Il est donc permis d'évoquer un enchaînement d'arcanes (se juxtaposant à l'ordre numérique réel) qui est :
L'Impératrice (III) - L'Amoureux (VI) - L'Hermite (VIIII) - Le Pendu (XII) - Le Diable (XV) - La Lune (XVIII) - Le Monde (XXI)
3. L'attitude physique du personnage rappelle étrangement une posture pratiquée dans le yoga. L'inversion spatiale du corps a pour effet de permettre aux énergies de mieux circuler (principalement : une meilleure irrigation du cerveau). Ainsi, si le Pendu se voit, d'une certaine manière, privé de son corps (dans cette attitude, il ne peut pas agir), ses potentialités mentales, intellectuelles et spirituelles sont par contrecoup développées. D'ailleurs, la parfaite verticalité du corps est étonnante car ainsi tenu d'un seul pied, son corps devrait normalement obliquer. Ce qui n'est pas le cas. Il a trouvé un juste équilibre dans la situation à laquelle il est soumis. Équilibre que confirme la position des jambes, telle que chez l'Empereur.
"L'ensemble de la figure rappelle ainsi le signe alchimique de l'accomplissement du Grand Œuvre, renversement de l'idéogramme du Soufre, auquel se rapporte la silhouette de l'Empereur". (Oswald Wirth)
Ainsi, il existe un lien, qui se fonde sur l'opposition, entre l'Empereur et le Pendu. Cette inversion n'est pas seulement physique, mais concerne également la signification respective des deux cartes :
Empereur : emprise sur soi, sur la Nature
Pendu : soumission aux forces intérieures et extérieures
Toutefois, même si la position accroît les capacités intérieures, elle conserve sa dimension en fermante (impossibilité d'agir, corde = attachement, cadre fermé par les deux arbres). C'est pourquoi, il est nécessaire de bien considérer et différencier les deux effets de l'arcane : négatif sur le plan matériel, positif sur le plan spirituel.
Au non - agir s'ajoute l'impossibilité de créer, c'est-à-dire d'utiliser ses mains. On ne sait si elles sont liées ou si, volontairement, le personnage les tient croisées dans son dos. En tout cas, il ne peut les utiliser : elles sont absentes. Or, les mains permettent aussi bien de créer que de réaliser. D'autre part, comme chez les autres personnages des arcanes, soit elles accomplissent une action spécifique (comme chez la Force ou le Pape) soit elles sont détentrices d'objets ou d'attributs (comme chez l'Impératrice ou la Justice), soit elles servent à communiquer (comme chez la Papesse ou l'Amoureux). Privé de ses mains, le Pendu ne possède rien et ne réalise rien. On peut, sur le plan de la possession, considérer que les poches, situées sur la partie inférieure de la veste, constituent une sorte de réservoir en se substituant aux mains. Cependant, étant donné la position inversée du personnage, et n'étant point hermétiquement fermées, si elles contenaient quelques objets, ils tomberaient. C'est pourquoi, certains tarots représentent le Pendu, avec des poches ou des bourses, attachées à sa ceinture, qui se vident de leur contenu : or ou pièces. Ce qui accroît l'affaiblissement matériel du Pendu. Il incarne alors la pauvreté la plus absolue.
5. Le cadre est constitué de deux arbres. Le graphisme est étrange et évoque également une inversion. Pourtant, les bourgeons laissent supposer un ordre correct. On les considère alors comme chacun planté dans un amas de terre verte (qui aurait pu sinon apparaître comme le feuillage). Leur couleur est intéressante car ils associent deux teintes reconnues pour leur dynamisme : jaune et rouge. Aussi, les éléments extérieurs sont plus actifs que le personnage. Ce qui est réaffirmé par les bourgeonnements qui évoquent la croissance et le développement. Le cadre environnant a une existence propre, indépendante de l'activité humaine; aussi, les choses évoluent d'elles-mêmes sans l'intervention de l'homme. C'est un peu comme si les situations que l'être humain crée vivaient réellement et arrivaient même à survivre après sa mort (symbolique).
Le Pendu est l'arcane qui présente la plus grande dominante de vert. Cette couleur intervient comme celle de la nature. C'est pourquoi, l'homme est ici en présence des forces naturelles.
Le Nom
C'est: "Le Pendu"
Définition du Larousse: “ Mort par pendaison / Homme qui s’est pendu ou qui a été pendu ”.
Si l'on se conforme à la définition propre du mot, le Pendu incarne la mort. Or, le personnage est bien vivant. Inerte mais animé, empli d'énergie. Ce n'est pas tant son corps qui est atteint ou pendu que son esprit. De ce fait, il ne représente pas la mort physique ou réelle, mais la mort psychique et symbolique. Cette référence à la mort néanmoins peut s'expliquer par l'enchaînement chronologique des lames. Le Pendu constitue alors les prémisses de l'Arcane XIII. Il est l'étape précédente, préparatoire au grand passage transformateur. Pour évoluer, pour se libérer de ses entraves, il lui faudra mourir à lui-même. L'abandon, le détachement, l'acceptation de la perte et de la séparation seront nécessaires.
Sur un mode figuré: “ être pendu ”, c'est être coincé, impuissant, empêché d'agir. Et c'est bien de cela dont il s'agit. Le personnage est privé de ses jambes, de ses mains, de son corps.
Sens initiatique
L'arcane XII constitue un passage difficile sur le chemin, une étape douloureuse mais nécessaire. Son action est double. Elle menace la continuité des choses en même temps qu'elle assure une ouverture mentale et spirituelle.
La première question qui se pose est : Pourquoi ? Pourquoi est- il pendu ? En regard de l'arcane qui précède, on peut à juste titre s'étonner de son état présent. Comment la Force peut-elle engendrer le Pendu ? Certainement qu'il ne faut considérer aucune relation de cause à effet entre ces deux arcanes. Pourtant, le douzième arcane intervient bien comme le résultat d'un comportement antérieur. Pour trouver son origine, il est nécessaire de remonter le temps (c'est-à-dire l'ordre chronologique des arcanes). Certains éléments, présents dans le graphisme comme dans le nombre, peuvent aider dans cette recherche.
Le ternaire et ses multiples (tant par la réduction du nombre que par les bourgeons et boutons) est prédominant. Il suggère la présence d'un autre ordre des choses et donne une seconde rythmique. D'autre part, sur le plan strictement graphique, on trouve dans la composition de la carte une évidente analogie avec l'Amoureux. Le personnage de l'arcane VI est entouré de deux femmes, le Pendu, lui, est encadré par deux arbres. Ils constituent, l'un et l'autre, l'élément central : placé au milieu. Cependant, s'il est offert à l'Amoureux un rôle actif de décideur, il est conféré au Pendu une position passive et soumise. L'Amoureux peut et doit tout faire : son avenir est entre ses mains. Le Pendu ne peut et ne doit rien faire : l'attente seule lui restant autorisée et conseillée.
L'Amoureux illustrait le choix existentiel, le Pendu est la conséquence du refus de choisir. Si l'on prend, les arcanes de trois en trois, on commence avec une position confortable mais illusoire (l'Impératrice). La facilité de la situation est remise en cause par la nécessité d'opérer des choix et donc d'accepter de se défaire d'un certain nombre de choses réelles ou virtuelles (l'Amoureux). Vient ensuite la capacité de se retirer dans la solitude (l'Hermite). Si, le choix de l'Amoureux ou le retrait proposé par l'Hermite n'est pas opéré, la seule issue reste l'enfermement dans l'attachement. Le Pendu est le résultat des compromis douteux, du désir de tout concilier, de la volonté de ne rien perdre. En cela, il devient l'arcane du sacrifice nécessaire et incontournable. Il stipule que tout enchaînement à un objet, une personne ou une situation, trouve son origine dans des comportements d'évitement.
Pour être plus clair, il suffit d'illustrer concrètement ces situations en chaîne. Imaginons, par exemple, un homme à la tête d'une grosse entreprise (l'Impératrice). Il connaît une période de prospérité puis des difficultés matérielles et économiques se font sentir. Se présente alors la possibilité, plus même la nécessité, de faire un choix, c'est-à-dire de prendre des décisions concrètes et réelles pour résoudre les problèmes rencontrés (l'Amoureux). Or, à cause de l'abnégation demandée, notre homme refuse de prendre des décisions ou de faire des choix, en comptant sur le temps pour résoudre les problèmes, en repoussant l'échéance, etc. Il a plus tard, parce que la situation s'aggrave, étant donné la pauvreté des réactions, la possibilité de se retirer (l'Hermite). Là encore, il se soustrait à cette voie, n'acceptant pas d'abandonner. N'ayant pas agi au moment voulu, il se retrouve totalement bloqué et coincé, pris au piège de ses multiples refus, de ses fuites à répétition (le Pendu).
Toutefois, la position qu'induit le Pendu permet d'accéder à une prise de conscience. Par l'inversion du corps, et donc du regard, il est possible de découvrir la réalité sous un autre angle, d'avoir une autre vision des choses. L'entravement, les obstacles, les difficultés matérielles incitent à s'ouvrir sur une autre dimension plus spirituelle. C'est pourquoi, bien que représentant une période d'adversité et d'épreuve, le Pendu symbolise la possibilité d'un développement intérieur et spirituel. Le rapprochement de sa posture avec celle des yogis confirme cette orientation. Les énergies circulent plus librement et l'inactivité physique favorise l'activité psychique. De même que le choix de l'Amoureux grandit, le sacrifice du Pendu élève et ouvre de nouveaux horizons.
Sens psychologique
Le Pendu revêt un aspect angoissant par l'inversion du corps. Il symbolise, à ce titre, la différence, voire l'anormalité. Il peut correspondre au sentiment d'exclusion: ne pas se sentir comme les autres. L'impuissance, soulevée par le personnage, crée également un certain inconfort. Il parait enfermé, empêché dans son action. Son nom appuie le symbolisme de la lame. Beaucoup de personnes se perçoivent ainsi: soumises, freinées dans leurs efforts, voire inutiles. Elles s'identifient dès lors au Pendu, exprimant à travers cette projection leur sentiment d'être différentes, bloquées, impuissantes et tenues par des liens indésirables.
Sa valeur positive, au niveau de la perception subjective, peut s'établir par l'absence apparente de signes de souffrance. Il ne traduit généralement pas une situation douloureuse mais plutôt la perte des moyens d'action. D'autre part, de même que le Diable, il suggère l'attachement, en référence à la corde. Toute situation d'enchaînement, d'asservissement se trouve ici manifestée. Il produit essentiellement la perte de la liberté et symbolise des liens, affectifs ou matériels, devenus en fermants.
Le Mythe
Quelle position inconfortable que celle de ce pendu, et qu'est ce qui a bien pu l'amener là ?
La tradition attribue à cet arcane des missions douloureuses, des sacrifices très durs. Il faut se dépouiller pour poursuivre sa route. Tout comme Odin qui pour acquérir la connaissance abandonne une partie divine de son être. C'est pourquoi le mythe d'Odin continue à vivre dans cet arcane du tarot.
Le Bateleur, en arrivant à cette carte, doit, pour éviter la stagnation, comprendre et renaître à l'esprit, subir une autre passion, matérielle celle-là, mais avec la protection et l'omniprésence de la nature.
Le PENDU et le mythe d'Odin
Odin (Wotan dans les pays germaniques) naquit d'un arbre. Dieu solaire et lunaire, il rejoint par son sacrifice les dieux ou héros crucifiés ou démembrés, Orphée, Dionysos, Attis, Adonis. Son sacrifice est librement consenti, accepté, plus, volontaire; il lui ouvre les portes de la conscience. Odin ne monte pas au ciel, ne devient pas une étoile, il reste entre le reflet lunaire et la terre, médiateur du végétal et de la chair. Mais Odin, de par sa naissance, symbolise aussi l'arbre.
Yggdrasill était un chêne puissant, le plus beau de tous les arbres des forêts d'Europe d'alors. Il avait quatre racines ; la première, perpétuellement rongée par un dragon, se reformait grâce à sa sève inépuisable, mais la lutte était impitoyable. Chaque éclipse de lune était une épreuve dont le dragon pouvait sortir vainqueur. Le monde alors finirait et retomberait dans le chaos absolu dont il était sorti. La seconde racine s'allongeait vers l'extrême Nord et se perdait dans le monde des géants. La troisième racine allait dans le royaume de Mirmir, le premier homme qui mourut et régnait sur le sombre empire (le Pluton du Nord est un homme). Sur la quatrième racine étaient assises les Normes (les Parques du Nord) ; elles décidaient de la naissance et de la mort des humains, mais n'intervenaient pas sur leur libre arbitre. Elles veillaient également sur la fontaine de Mirmir, la source de toute la mémoire du monde.
Un jour Yggdrasill étendit un rameau vers l'est et créa un frêne. L'arbre fut sacré pour les hommes, au même titre que son père ; ils lui donnèrent une servante-prêtresse, vierge (initiée). De leur union naquit Odin. L'arbre garda l'enfant dans son écorce neuf mois, le nourrissant de sa sève. Puis le frêne s'ouvrit et Odin en sortit adulte. Yggdrasill lui fit présent de deux corbeaux qui vivaient sur ses branches, ils connaissaient l'avenir. Il lui donna aussi comme compagnons les vents d'Ouest et du Nord. La déesse de la fertilité, Fraya, lui fit cadeau de son cheval noir. Odin se mit à chevaucher dans les plaines et les forêts, jour et nuit. Un matin d'hiver, il faisait halte à l'orée d'un bois ; deux loups affamés en sortirent et lui demandèrent secours. Le cheval d'Odin les conduisit là où se trouvait un cadavre d'animal enterré sous la neige. Les loups ensuite ne quittèrent plus le dieu.
Mais un jour, l'envie vint à Odin de connaître les runes, écriture secrète et magique, symbole d'une connaissance à laquelle les dieux n'avaient pas accès. Il alla méditer pendant neuf jours et neuf nuits sous l'ombre d'Yggdrasill, puis demanda aux autres dieux de pouvoir réaliser son désir. Ceux-ci entrèrent dans une grande colère, car permettre à Odin d'accomplir ce qu'il voulait signifiait lui donner un pouvoir interdit aux dieux, et jamais un pareil sacrilège ne s'était opéré dans le panthéon scandinave. Odin demanda l'arbitrage des Normes. Celles-ci, dans leur sagesse de gardiennes des portes sombres, lui furent favorables mais lui imposèrent des conditions terribles.
Odin choisit le sacrifice en toute connaissance de cause. Il se pencha sur la fontaine de Mirmir et d'abord ne vit rien. Alors il sacrifia son œil droit (le côté divin) qui tomba dans la source et il vit les temps infinis, la profondeur de la mémoire, le passé et l'avenir des hommes. Odin garda son œil gauche, symbole de la vision affective que l'homme porte sur les choses de ce monde. Ensuite les dieux le pendirent la tête en bas, par un pied, sur le frêne dont il était né. Tous les bourgeons de l'arbre se mirent à saigner. Quand son supplice fut terminé, après plusieurs générations humaines, il put lire les runes. Il sentit les vents du Sud et de l'Est s'allier aux autres. Il garda en lui une partie immortelle, mais dut rester proche de la terre jusqu'à la fin des temps.
Il donna les runes aux hommes et accepta sa différence. Avec son équipage fidèle qui l'attendait, il reprit sa chevauchée et se rendit compte de sa solitude. Alors Odin épousa une émanation de la déesse lunaire, Dana, la lune dans son dernier quartier. Elle représente en astrologie les forces du subconscient qui peuvent être amenées à la lumière par la lucidité. Cravachant sa monture, il poursuit, depuis, l'image de sa femme dans tous les étangs et les lacs pour la posséder très vite avant qu'elle ne disparaisse. Car Odin doit lutter pour conquérir et conserver ses amours. Les jours de tempête, il parcourt la terre suivi de toutes les bêtes de la forêt, c'est la "chasse d'Odin". Les esprits des bois et des marais le servent et il se repose auprès des arbres isolés dans les champs et les clairières qui sont ses temples à ciel ouvert.
Les arbres, dans beaucoup de religions primitives, étaient soit le berceau des dieux, soit leur abri, soit le lieu de leur supplice. Les bûcherons formaient une corporation un peu magique. Ils abattaient les arbres en leur demandant pardon, se considérant comme les serviteurs des esprits du végétal, les médiateurs entre l'arbre et l'homme. Les druides maintinrent la tradition du culte de l'arbre. Un voyageur grec raconte que, traversant la Gaule, il vit, horrifié, un homme être condamné, pour avoir arraché l'écorce d'un arbre dans un bois consacré au culte de la nature, à "une vie pour une vie" : il fut écorché et les lambeaux de sa peau furent mis sur l'arbre à vif. Ainsi, disaient les druides, l'homme et l'arbre ne font qu'un dans la lumière.