LA MAISON DIEU
Interprétation
1. Le graphisme n’est pas véritablement conforme au nom. En effet, l'arcane nous présente une tour et non pas une maison, comme son nom le laisserait supposer. Sur un plan symbolique, la tour traduit un désir d’élévation. Sa construction verticale symbolise la volonté humaine d’atteindre les cieux, c’est-à-dire les dieux. Elle illustre plus une création mentale et spirituelle que physique et matérielle. L’exemple, le plus célèbre, de sa valeur architecturale et symbolique nous est donné par la Tour de Babel. Le mot Babel vient d’ailleurs de la racine Bll qui signifie confondre.
Pourtant, dans le Tarot, sa couleur l’identifie bien à une œuvre humaine et non pas divine. Elle témoigne de certaines imperfections, tel que l’absence d’ouverture. Aucune porte pour pénétrer à l’intérieur, comme si les constructeurs s’étaient volontairement ou involontairement emmurés vivants. On pense naturellement à la métaphore de la tour d’ivoire. D’autre part, en renforcement de cette comparaison, les fenêtres sont bleues, ce qui crée un paradoxe car si la fenêtre est symbole d’ouverture, le bleu est symbole de fermeture. Leur nombre évoque le ternaire sacré; car si c’est l’homme qui construit, il désire une création parfaite. Cependant, la construction est décentrée, c’est-à-dire non équilibrée. Mircéa Eliade explique, à ce propos, à quel point le centre est important, dans la construction, et significatif de sa solidité.
2. Les créneaux jaunes participent du même symbolisme : leur couleur solaire tranche avec l’ensemble de la tour qui est couleur chair. On a ainsi le sentiment que plus l’individu s’élève, plus sa création s’épanouit et plus il pense avoir transformé sa condition. De plus, les créneaux prennent valeur d’achèvement. Ils marquent le terme, la fin de l’œuvre. Or, d’un point de vue cosmique, l’accomplissement total ne peut exister que dans le mouvement. Les créneaux correspondent, de par leur couleur et leur fonction, à la présomption humaine s’exprimant par : « je suis arrivé ». L’homme est atteint dans cette illusion. Toute son œuvre n’est pas détruite, seul le sommet est touché; la base demeure intacte.
La flamme symbolise la foudre, c’est-à-dire le feu divin. Dans la mythologie grecque, Zeus, le dieu des dieux, était l’unique possesseur de la foudre (donc du feu) jusqu’à ce que Prométhée la lui vole pour en faire don aux humains. D’autres mythologies attestent les mêmes croyances. La foudre vient du ciel et, dans la plupart des cultures, les dieux résident dans le ciel. Elle n’est ni prévisible, ni contrôlable, et c’est pour cette raison qu’elle terrifie. Elle est interprétée comme la vengeance divine s’exerçant, par la voie du feu, sur les humains.
Mais, il ne faut pas négliger le fait que le feu s’articule sur un double symbolisme. Il possède une dimension destructrice alliée à une dimension purificatrice. S’il tue, broie, enflamme, brûle, il nettoie aussi. C’est pourquoi, sous couvert de purifier, on réservait le bûcher aux hérétiques et autres sorcières. Il ne s’agissait alors, dans les consciences folles et justicières, pas seulement d’ôter la vie mais d’assainir les âmes, que l’on croyait souillées. De même, les rituels crématoires en Asie visent à purifier l’âme, en favorisant la sortie du corps.
Dans l’édition originale du Tarot de Marseille, la flamme est toute en finesse et en volutes; elle s’apparente pour de nombreux observateurs à un plumeau ou à un panache. Le dessin, ainsi travaillé, enlève le caractère imprévisible de la foudre. Elle se détache de l’aspect incontrôlable et brutal du feu, pour se rapprocher de la notion d’une certaine organisation. Le temps passé à l’élaborer (ce n’est pas comme s’il s’agissait de simples traits) symbolise la lenteur de sa mise en place, même si dans la réalité, elle peut apparaître avec violence pour celui qui n’aura pas assisté à sa préparation.
D’autre part, la flamme ne détruit pas mais détache simplement le sommet de la tour comme pour aérer ce qui était trop hermétiquement clos. L’ouverture par le haut rappelle la naissance d’Athéna. Zeus, pour soulager une douleur cérébrale, prie Héphaistos, dieu forgeron, de lui fendre le crâne d’un coup de hache. Son immortalité lui autorise ce violent traitement. Cette étrange trépanation accomplie, Athéna, déesse de la raison et de l’intelligence, sort toute entière de la tête de Zeus, déjà adulte et couronnée de son casque. De même, la foudre peut, sous l’effet de son action, favoriser une prise de conscience et faire éclore l’intelligence subtile des choses.
3. Les boules multicolores confèrent à l’arcane une dimension apocalyptique. Les éléments se déchaînent; l’ordre des choses est bouleversé. Lorsque l’individu est blessé, il a le sentiment que tout contribue à son affaiblissement, que plus rien ne fonctionne. Ce ne sont pas seulement ses constructions qui s’effondrent, c’est l’univers dans sa totalité.
Les sphères sont au nombre de trente-sept, ce qui a pour effet d’évoquer la décade (3 + 7 = 10). Or, dix est le symbole de l’éternel recommencement car 1 + 0 = 1, du retour à l’origine. La Maison - diev se rattache à la Roue de Fortune, montrant la conséquence de la négation de ce perpétuel mouvement. Achever la tour (en lui posant des créneaux), c’est s’opposer au changement, à l’évolution constante des choses, au principe de vie.
En décomposant, on remarque onze boules bleues, treize boules rouges et treize boules blanches : c’est-à-dire uniquement des nombres impairs (37 composé de 11 + 13 + 13). La valeur des nombres impairs est l’activité. Les éléments extérieurs (la flamme et les boules : le ciel) sont dynamiques. Ils substituent leur propre action à l’attitude défaillante de l’homme. Car si la vie (entendu les événements, les autres, etc.), c’est-à-dire le monde extérieur, n’amenait pas l’homme à changer, à remettre en cause son existence, à se questionner, il demeurerait peut-être indéfiniment sur ses positions.
On retrouve aussi le onze, c’est-à-dire la Force car l’homme fort (au sens donné par l’arcane XI) ne chute pas, ou encore, pour l’exprimer autrement, la chute le renforce, le rend plus sage et donc plus puissant. Le nombre treize renvoie, lui, à l’arcane sans nom et accentue cette idée, déjà suggérée par le dix de perpétuel mouvement. L’évolution ne peut se faire qu’à travers le changement, sinon, il n’y a pas de progrès possible.
Le treize est redoublé, donnant ainsi vingt-six (13 boules rouges + 13 boules blanches) qui réduit aboutit à huit (2 + 6 = 8). La Justice (arcane VIII) est donc également présente, nous en donnons la raison lors de l’étude du nombre.
Paul Marteau nous dit à propos de leur couleur : « Aucune n‘est jaune, car l’Intelligence Divine ne préside pas à cette arcane qui s’applique exclusivement à l’œuvre humaine ».
4. Outre la foudre, l’arcane XVI repose sur l’archétype de la chute. La descente d’ordre physique, illustrée par le fait de tomber, se rattache à la descente spirituelle. La chute est évoquée dans maintes traditions. Dans la plupart des écrits, l’Homme est au départ, en tant que créature divine, parfait. A l’origine existe un état paradisiaque. On pense naturellement à Adam et Ève dans l’Eden, à l’Âge d’or de la mythologie grecque. Chaque fois, l'homme rompt cette perfection, cet état idéal, en commettant une faute. Il est en ce sens à la fois victime et bourreau car il est responsable de sa chute en même temps qu’il la subit. Souvent, la femme apparaît comme la cause; c’est elle qui représente la tentation malheureuse et destructrice. Ève croque la pomme, Pandore ouvre la jarre dans laquelle étaient emprisonnés tous les maux et toutes les malédictions. Et l’Homme perd l’état originel qu’il s’évertue ensuite à retrouver.
Cette dimension symbolique est d’un grand apport dans la compréhension de l’arcane XVI. Elle induit que l’être humain est seul responsable des malheurs qui lui arrivent. Il est l’auteur, souvent inconscient mais actif quand même, des calamités qui s’abattent dans son existence. Lors de l’étude du sens initiatique, nous en verrons la raison et les effets.
Les constructeurs qui tombent sont au nombre de deux. La dualité exprime ici la division et non pas l’union. La chute présente toujours un caractère d’opposition à l’ordre des choses. Elle constitue un dérèglement et un dysfonctionnement. Ils tombent tête et mains vers l’avant. On retrouve la position inversée du Pendu, symbole de déséquilibre. On peut évoquer les notions de renversement ou de bouleversement (être sens dessus dessous, être désorienté, ne plus savoir où on en est). Car la chute déstabilise, en tout cas temporairement. Mais, elle permet aussi de porter un regard différent sur les choses et les êtres. Elle transforme l’individu et sa vision de la vie (comme le fait l’inversion du Pendu).
D’autre part, leur attitude leur permet d’entrer en contact avec la Terre, Mère - Nourricière, et de reprendre ainsi des forces. Pour celui qui sait tomber, la chute n’affaiblit pas, elle élève.
5. Leur tenue vestimentaire est encore symbole de division. De tous les personnages habillés du Tarot, ils sont les seuls dont la tenue ne comporte pas de jaune, même en très faible quantité. Cette absence peut prendre sens à deux niveaux :
- Le jaune représente le divin. Son absence peut signifier la perte, plus ou moins temporaire, de la croyance, de la foi ou de la conception spirituelle. Elle traduit l’éloignement qui s’établit, dans cet état particulier, entre l’Homme et Dieu.
- Le jaune intervient comme couleur de liaison et de médiation. Il relie généralement le bleu et le rouge. C’est pourquoi, il se situe aux niveaux intermédiaires (collier : entre la tête et le corps, ceinture : entre la partie inférieure et la partie supérieure du corps, milieu des bras). Son absence représente la dysharmonie qui s’installe sur le plan énergétique : les polarités féminines et passives (bleu) s’opposant aux polarités masculines et actives (rouge).
6. Les deux pierres blanches sur le sol, mises en évidence par leur couleur qui tranche sur le jaune, figurent la matière qui servira à la prochaine construction. Elles constituent un signe d’espoir : l’effondrement n’est jamais définitif, on peut toujours recommencer, agir de nouveau.
Le Nom
C’est : « La Maison - diev »
Définition du Larousse :
- « Maison : construction destinée à l’habitation humaine » - « Dieu : Être éternel, créateur et souverain maître de l’Univers »
Le nom est extrêmement révélateur, encore une fois, plus au niveau de la forme que du fond (de même que l’Amoureux, Tempérance, l’Étoile). Il ne s’agit pas de « La Maison de Dieu » mais de « La Maison - diev ».
La première expression, avec un article entre Maison et Dieu, aurait posé Dieu comme possesseur ou propriétaire de la Maison (de même que l’on dirait la Maison de Untel). Dans cette perspective, elle aurait représenté un lieu sacré tel un temple, une église, une mosquée, une synagogue. Elle aurait pris sens comme la Maison, accueillant Dieu, consacrée à Dieu, construite pour Dieu. Au lieu de cela, le terme « La Maison - diev », par sa contraction, supprime la notion de destinataire de l’œuvre. Elle n’est plus propriété divine, elle est « divine ». En déclinant, le mot, on pourrait penser à la Maison qui s’appelle Dieu, qui porte le nom de Dieu, qui est Dieu. Aussi, le nom exprime toute l’ambition, toute la présomption avec laquelle l’être humain édifie ses constructions matérielles ou affectives. C’est l’œuvre humaine apparentée à l’œuvre divine, l’œuvre imparfaite considérée comme parfaite.
Sens initiatique
Plus que jamais, il est primordial, avec l’arcane XVI, de dissocier le sens initiatique du sens divinatoire. Certes, son effet, sur le plan phénoménal, est souvent dramatique et douloureux. Par contre, du point de vue nouménal, la Maison - diev induit une possibilité d’évolution majeure. Nous avons précédemment établi la distinction entre la dimension exotérique (plan divinatoire, phénomène) et la dimension ésotérique (plan initiatique, essence). Aussi si l’on considère que l’arcane XVI représente l’effondrement, ce qui importe, c’est la manière dont est traité l’événement à priori négatif. Si lorsqu’on “subit” un échec, on ne voit dans celui-ci que l’aspect destructeur et dévalorisant, son effet est multiplié. Il devient alors objet d’appauvrissement et de perdition. Si, au contraire, on considère les moments douloureux, quels qu’ils soient, avec philosophie et objectivité, ils perdent leur acuité et au lieu d’affaiblir, ils enrichissent. De même que le feu, procède d’une ambivalence, et est destructeur et purificateur, l'adversité est douloureuse mais incitatrice au changement.
A propos de la Maison - diev, voilà ce que l’auteur anonyme des « Méditations sur les arcanes du Tarot » nous dit : « il ne faut pas bâtir, il faut croître : voilà son enseignement essentiel ». Pour parvenir à une meilleure compréhension de la carte, plusieurs points sont à développer :
L’échec n’existe qu’opposé à la réussite : vouloir supprimer l’échec, c’est implicitement vouloir supprimer la réussite. En ce sens que tout est une question de définition. L’individu se réfère à un système de valeurs purement subjectives. De même que nous l’avons expliqué dans l’étude de la Roue de Fortune, il ne s’agit pas de monter (la réussite) ou de descendre (l’échec) mais plutôt de trouver l’équilibre intérieur, qui seul permet de réduire les fluctuations. C’est parce que l’homme croit avoir accédé à la réalisation, qu’il souffre lorsque des transformations se produisent. Le Yi King expose que le flux est toujours suivi du reflux. Il faut accepter les entraves; elles n’ont que l’intensité qu’on leur donne. C’est seulement en recommençant encore et encore que l’on peut s’approcher de la perfection. Ne pas tolérer que son œuvre, qu’elle soit professionnelle, artistique ou affective, soit remise en cause, c’est la croire parfaite et donc faire preuve de présomption et d’orgueil.
« Le ciel subsiste et la terre dure. Pourquoi le ciel subsiste-t-il et la terre dure-t-elle ? Parce qu’ils ne vivent pas pour eux-mêmes. Voilà qui les fait durer ». (Lao Tseu)
Tout événement est prévisible : être surpris par l’événement (heureux ou malheureux) traduit une fermeture mentale et une perte de conscience des réalités. Tout peut toujours arriver. L’étonnement, et par contrecoup la douleur, sont les expressions de l’insouciance humaine. C’est parce que l’homme se croit invulnérable, c’est-à-dire infaillible ou tout-puissant, qu’il souffre des transformations que subit sa vie. Le sage se prépare à toute éventualité et n’en redoute aucune. Cela ne veut pas dire qu’il désire l’événement décrit comme négatif ou qu’il fait preuve de fatalisme; mais, plus simplement, cela signifie qu’il ne connaît ni l’angoisse, ni la peur et donc il est protégé de la douleur. Il n’est pas non plus pour autant indifférent. Il considère simplement que les événements sont neutres et il ne leur confère aucune valeur projective, positive ou négative. Il a la connaissance de l’ordre des choses et n’est perturbé par aucun mouvement; de ce fait, il ne tombe jamais.
La lucidité et la clairvoyance constituent les moyens adaptés d’évitement : comme le sage, il convient d’être lucide. Cela signifie que lorsqu’il y a souffrance, il faut s’interroger sur son origine et sur sa nature. On verra alors que bien souvent, la douleur est subjective et qu’elle repose sur un conflit avec la réalité. C’est la raison pour laquelle la recherche de l’harmonie est tellement importante. Ne plus s’opposer constitue la clef du bonheur.
La clairvoyance exprime l’idée de disponibilité et d’ouverture. La Maison - diev évoque la chute que peut représenter : une perte d’emploi, une rupture affective, la perte d’un être cher, un décès, une maladie, etc. Or, d’un point de vue ésotérique, si ces situations créent de la souffrance, c’est parce que l’individu n’est pas clairvoyant. Être préparé, tel le sage, c’est garder en permanence à l’esprit la relativité des choses. Rien n’est éternel, à part l’âme. Rien n’est définitif. Refuser la perte, la mort, la disparition, la séparation, c’est encore une fois refuser le principe de changement, qui anime toutes choses. Souffrir lorsque le changement advient, c’est ne plus être dans la compréhension des rythmes. Tout est encore affaire d’attachement. Si l’on est détaché, la perte n’affecte pas; car rien ne nous appartient jamais.
Rien n’est définitif : la Maison - diev, si elle incarne un temps de souffrance, suggère néanmoins que si tout est en perpétuelle évolution, l’adversité ne peut être définitive; elle aussi est impermanente et elle aussi ne constitue qu’un passage. Croire que l’on est condamné à toujours être malheureux, c’est perdre la notion d’équilibre et c’est dénier le principe de vie. L’espoir est salutaire et constitue une réaction sensée et positive.
La clef se trouve en fait dans la capacité à traiter tous les événements positivement, à reconnaître le divin dans toutes les manifestations et les situations, des plus banales aux plus exceptionnelles. Tel Krishna disant à Arjuna : “Celui qui me voit partout et qui voit le Tout en moi, je ne suis jamais perdu pour lui, il n’est jamais perdu pour moi”.
Sens psychologique
La Maison - diev se rattache au symbolisme de la chute. Sur un plan psychologique, de même que l’arcane XIII, elle s’apparente à une angoisse de mort ou de destruction. Se rajoute, ici, la peur du vide. Nombreux sont les rêves ou cauchemars qui évoquent le fait de tomber.
Ce n’est pas tant l’image du morcellement qui est redouté comme avec l’arcane XIII, mais celle du vide. Tomber, c’est s’enfoncer, descendre, diminuer; autant de termes qui renvoient à des ressentis extrêmement négatifs. Il peut s’agir aussi de la peur d’être absorbé dans les entrailles de la terre, de disparaître, d’être aspiré ou avalé par la Grande Mère nourricière. Enfin, la chute s’associe, dans les mentalités humaines, à la honte et à l’humiliation (« Comment est-il tombé si bas ? »). On accède ici à la notion de déchéance et de dégénérescence.
Tomber, n’est plus seulement dangereux ou menaçant; mais est surtout objet de haine, de rejet, de dégoût. A toutes ces notions, est associée l’angoisse de ne pas, ou ne plus, pouvoir se relever. La chute parait toujours définitive (comme dans le rêve : on tombe sans fin). C’est de cette menace d’éternité qu’elle tire toute sa puissance. Assez paradoxalement, on s’aperçoit que, d’un point de vue projectif et identificatoire, l’arcane XIII, bien que perçu douloureusement, semble constituer, pour la plupart des gens, un passage; alors que la Maison - diev a quelque chose d’inéluctable, de fatal et de définitif.
En dernier lieu, la Maison - diev suggère, par son graphisme, les idées ou les comportements suicidaires. Cette notion s’applique tant à une lecture réelle que symbolique. Il peut s’agir du désir de supprimer ses jours, comme de la mise constante en échec, à un niveau inconscient, de ses activités.
Le Mythe
Cet arcane représente à la fois la puissance et la faiblesse des forces du mental. Il demande à l’homme de monter à l’assaut du ciel; pour cela il est seul. Il doit payer chèrement de sa personne pour permettre le grand balayage. Tout comme Prométhée qui défie les dieux, combat les oppressions et les mensonges en ne luttant pas pour lui, mais pour une évolution générale. C’est pourquoi le mythe de Prométhée continue à vivre dans cet arcane du tarot.
Le Bateleur, en arrivant à cette carte, va vivre un cataclysme, risquant sa destruction si les étapes précédentes ne sont pas solidement construites. Il rencontre la violence sur son chemin.
LA MAISON DIEV et le mythe de Prométhée
Entre l’apparition du dieu Zou babylonien, qui vola au dieu suprême les tablettes des destinées et fut transformé en aigle, et celle de Prométhée, le Titan grec qui redonna le feu aux hommes, il se passa quelques siècles, grains de sable dans l’évolution des théogonies.
Toute l’histoire de Prométhée débute par un acte d’adoration : les hommes, pour se concilier les dieux, leur offraient des sacrifices d’animaux et le meilleur morceau, en général la cuisse, était brûlé en l’honneur de Zeus. Les hommes ne gardaient pour eux que les bas quartiers. Le Titan, un jour, leur fit remarquer que, bons ou mauvais, tous les morceaux avaient la même fonction, puisque les dieux se contentaient de respirer le fumet qui montait jusqu’à eux. Alors les hommes changèrent la qualité de leurs dons et se régalèrent. Zeus ne s’aperçut pas immédiatement de la supercherie, mais lorsqu’il jeta un œil divin et indifférent sur “les fourmis d’en bas”, il découvrit la ruse et sa colère se déchaîna. Il déclencha un terrible orage et se vengea sur les hommes sans toucher à Prométhée : il leur reprit le feu.
Sur terre, ce fut la nuit, le froid, la misère, le retour aux temps barbares. Auparavant, Prométhée avait appris aux hommes les lettres sacrées, les chiffres et la “mémoire de toute chose qui permet d’ordonner intellectuellement le monde”. (Citation de Jan Kott, Manger les dieux). Enlever le feu aux hommes, c’était les priver des forces du mental, qui leur ouvraient la route de l’évolution et de la connaissance. Prométhée leur dit : “Je ne suis pas un dieu; la souffrance et la sainte pitié m’ont fait semblable à vous, fils de la femme. Pour vous abriter contre Zeus, je vous ai pris dans ma poitrine au sanctuaire du temple intérieur, inviolable, de l’amour; le fleuve terrible de vos larmes a coulé par les yeux du Titan, maintenant médiateur sublime, votre humanité vit en moi, ma divinité vit en vous.” (Citation de J. Duchemin, Prométhée, le mythe et ses origines.) Et Prométhée vola le feu à Zeus pour le rendre aux hommes.
La colère de Zeus fut terrible; il condamna le Titan à être enchaîné sur un rocher pour dix mille ans, un aigle lui dévorant, le jour, son foie qui se reformait la nuit. C’est Héphaistos qui lia Prométhée sur son rocher situé sur une montagne du pays des Scythes, balayée par un vent glacial. Tous les mille ans, Zeus accordait un répit à sa victime pendant quelques heures de temps divin. Les hommes éphémères et les Titans se groupaient autour du supplicié et l’écoutaient prophétiser. Il prédisait la fin des dieux. Il sera délivré par Héraklès, lorsque celui-ci, en abordant avec la nef des Argonautes sur le rivage scythe, tua d’une flèche l’aigle; Chiron, en mourant, demandera à Zeus de lui donner son immortalité.
Le mythe de Prométhée démontre que, sans une construction solide du mental, toute évolution est impossible, même si les bases matérielles paraissent bien stables. Le mental doit être parfaitement adapté, domestiqué, comme l’instinct chez la Force, comme l’imagination chez l’Impératrice. Il doit être notre serviteur et non notre maître. Pourtant, ce mythe comporte aussi l’espérance: Chiron et Héraklès personnalisent les deux chances du Titan. Cependant la notion de triomphe de Prométhée est postérieure au mythe premier. Chez Eschyle la scène finale voit le Titan englouti dans le Tartare, car la révolte contre les dieux à cette époque était impensable. Ensuite, avec le développement du mythe, Prométhée voit la réalisation de ses prophéties et la mort des dieux. Ainsi dans la Nef, d’Élimir Bourges, dans une dernière incarnation Prométhée s’exclame en voyant les dieux morts passer en procession : “Je vous salue, dieux détrônés. Que de fois, tandis qu’en ce lieu même je pendais au rocher du destin, j’ai répété dans mon esprit ce que j’eusse voulu vous dire en face, si Adrastée m’eût délivré; et maintenant je balbutie, la pitié se glisse dans mon âme...”
Aux premiers temps de l’ère chrétienne, l’Église eut une attitude très ambiguë face à Prométhée. Saint Augustin le cite parmi les sages de l’Égypte. Ses fêtes, appelées en Grèce les Lampédonies, furent tolérées longtemps : Lucien parle de pantomimes très appréciées qui content les malheurs de Prométhée en 125 de notre ère. En fait, l'identification avec l’humanité souffrante, comme pour Jésus, est contenue dans le mythe, mais il existe aussi une notion de révolte qui gêna de plus en plus l’Église. Au Moyen Âge, un certain type de sermon commença à se multiplier, assimilant Prométhée à Lucifer. Au XVIIIe siècle, il figure dans un dictionnaire d’athées et la tradition cabalistique lui associe le symbole de la connaissance qu’on arrache, qu’on prend, qui n’est jamais donnée.
SURVIVANCES POPULAIRES
Le saint patron des carbonari, saint Prolétaire : En Italie, à la fin du XVIIIe siècle, se forma dans les Abruzzes une société secrète politico-religieuse. Les membres de cette secte, largement répandue dans le peuple mais touchant aussi les autres classes de la société, s’appelaient des carbonari. Les idées généreuses de cette société venaient de France, les carbonari voulaient établir un monde plus juste. Le mouvement se développa vite en France et son saint patron s’appelait Prolétaire ! Les “charbonniers” français luttaient surtout contre le régime politique de la Restauration. Quatre jeunes sergents de La Rochelle qui faisaient partie d’un complot pour renverser le roi payèrent de leur vie leur appartenance à cette société. On raconte que leur grâce fut maintes fois demandée à Louis XVIII qui répliquait chaque fois : “A quelle heure doit avoir lieu l’exécution ? A cinq heures, Sire. - Je ferai donc grâce à six heures.”
Lorsque la charrette des condamnés se dirigea le 22 septembre 1822 vers la place de Grève, un silence impressionnant s’empara de la foule acquise aux idées des malheureux sergents. Au passage, l’un des jeunes, Bories, sortit de son habit un bouquet de fleurs qu’il lança à une jeune fille en pleurs, sa fiancée. Celle-ci survécut quarante ans à son ami, et les femmes du quartier de Sèvres où elle habitait lui renouvelèrent chaque jour et jusqu’à sa mort le bouquet qu’elle portait à son corsage. La tombe des quatre sergents de La Rochelle, au cimetière Montparnasse, fut fleurie à la révolution de 1848 et également en mai 1968. Mais saint Prolétaire, avatar de Prométhée, disparut avec la charbonnerie.
Prométhée à Strasbourg : Il existe dans cette ville une légende disant que Prométhée aurait été puni par Zeus pour avoir inventé l’imprimerie. Elle vient d’une représentation de Prométhée d’Eschyle, donnée en grec ancien en 1609. Pour que le peuple ne soit pas dérouté, les notables hellénisants de la ville avaient ajouté un prologue et un épilogue expliquant le mythe du Titan et substituant au vol du feu l’invention de l’imprimerie. Il n’est pas rare d’entendre encore des vieilles femmes raconter à des petits Strasbourgeois l’histoire de cette façon, et elles se fâchent si un étranger leur fait une réflexion sur cette distorsion du mythe.
Saint Promette dans le Loiret : ce saint, inconnu au calendrier, divisa en deux camps ennemis un petit village près de Montargis, dans les années 1960. Un gendarme en retraite mit le feu aux poudres. Il fréquentait peu l’église mais affectionnait particulièrement une petite statue de bois liée à une grosse pierre située à un carrefour proche du village. Lui-même, des vieux et des vieilles et quelques adultes venaient fréquemment déposer près de ce saint Promette des fleurs et une bougie allumée pour qu’il protège du feu le village ; car dans l’histoire, ce saint avait un jour apporté le feu du paradis. Bien sûr, pour le camp adverse, Promette tenait plus de l’idole protectrice de carrefour que d’un saint. Le curé du village menaça en chaire de le brûler. Immédiatement, la statue fut soustraite à la colère cléricale et enterrée en lieu sûr. Quelques mois après, un incendie se déclara dans le village, on en trouva la cause accidentelle, mais l’église avait été endommagée. Le gendarme, persuadé que saint Promette, enterré, ne pouvait plus protéger son village, alla en procession avec ses partisans déterrer la statue et la replacer sur la pierre. Le curé fut nommé ailleurs et son successeur ne vint plus dire la messe que tous les quinze jours car il n’y avait plus assez d’habitants. Un jour ce prêtre, frais émoulu de son séminaire, fut mis au courant de l’existence du saint Promette; il prit une hache et alla couper en morceaux la petite statue. La désolation s’abattit sur le clan du saint. Le gendarme en pleura. Pour se venger, comme sa maison se trouvait sur la place de l’église, chaque fois que le curé venait dire une messe, il allumait un petit feu, puis il y faisait griller un camembert bien avancé. Une odeur atroce se répandait alors sur tout le hameau dès le commencement de l’office et persistait jusqu’à vêpres. Saint Promette se trouva ainsi, par le feu, bien vengé.
Prométhée - Napoléon en 1981 : Dans le Magne, région très belle et très sauvage située au sud du Péloponnèse, les habitants ont le sens de l’hospitalité développé, mais ne permettent pas qu’on les contredise. Cette région fut une des seules de Grèce à ne pas être occupée par les Turcs et les Allemands, en 1942, n’y mirent pas les pieds. Les vieux d’un petit village racontent facilement aux Français, en leur offrant leur apéritif anisé, l’ouzo, que Napoléon, leur empereur, était originaire de leur région, qu’il était un “Maniatis”. Il ne faut absolument pas les contrarier alors. Ils ajoutent d’ailleurs immédiatement que Napoléon était le fils de Prométhée, son fils aîné. Et lorsqu’ils voient que leurs interlocuteurs connaissent ce dernier nom, ils en sont tout heureux.
Prométhée vit toujours et “lorsque se réconcilieront le feu et l’eau, l’arbre et le vent, thanatos (la mort) et la race des hommes, Prométhée et Zeus seront amis”. Autrement dit, le révolté n’arrivera jamais à vivre en accord avec les dieux.